Ah, la question qui me hante à 2h du matin, alors que mes yeux piquent, que mon cerveau implore une pause, mais que mes doigts frétillent au-dessus du clavier. Il y a bien des raisons, évidemment. Les plus simples, celles qu’on balance pour avoir l’air détaché : « C’est juste pour voir ce que les autres disent » ou « je m’ennuie un peu ». Mais en vérité, derrière tout ça, il y a un cocktail savamment dosé de curiosités, de peurs et de pulsions.
D’abord, il y a cette fameuse peur de rater le truc, tu sais, ce détail qui fait que tout peut basculer. Une punchline, un ragot frais comme un croissant chaud que je n’aurai pas vu venir, et paf, me voilà largué, hors du coup, en train de traîner comme un simple spectateur. Me voilà parmi les pseudos toujours connectés, silencieux, qui ne participent pas aux discussions en salon. Non, non, non. Ça, c’est insupportable. Parce que le tchat, c’est une jungle. Si tu n’es pas là quand ça s’anime et quand ça bitch, tu deviens le dindon de la farce. Quand c’est pas toi qui lances la rumeur, c’est toi la rumeur. Et comment je fais, moi, pour me défendre si je ne suis même pas là au moment où ça jase sur moi ? T’imagines, manquer l’instant précis où on me descend en flèche, où je deviens le sujet brûlant de la soirée ? Impossible à supporter.
Ensuite, il y a cette curiosité maladive qui fait que je ne peux pas simplement fermer ce foutu onglet. Ça parle de quoi, là-bas ? Qu’est-ce que je loupe ? Et s’il y avait un débat existentiel sur… je ne sais pas, les chaussettes dépareillées ou la meilleure façon de couper une pizza, et que je ne pouvais pas y ajouter mon grain de sel ? Je sais, ça n’a pas l’air de grand-chose, mais au fond, chaque phrase que j’écris là-bas me donne l’illusion de participer à quelque chose de plus grand. Une histoire sans fin où tout le monde laisse sa trace. Une saga épique en ligne. Et franchement, qui ne voudrait pas être un des héros de cette fresque numérique ? Moi, j’ai ce besoin viscéral de marquer les esprits. D’être celui qui a lâché LA punchline du siècle.
Mais attends, on n’a pas encore parlé de la dopamine. Parce que oui, tout ça n’est pas que cérébral. C’est chimique, mon cher Watson. Chaque message posté, chaque réponse reçue, c’est une petite décharge d’adrénaline. Un shoot. Et l’idée de louper la nouvelle qui va enflammer le salon, celle que tout le monde va commenter et sur laquelle je n’aurai pas pu dire un mot, ça me rend malade. C’est comme rester à la porte d’une boîte de nuit alors que tous tes potes dansent à l’intérieur. La crainte d’être recalé. Bim, voilà pourquoi je reviens encore et encore.
Et puis soyons honnêtes, le tchat c’est aussi une question d’ego. Il y a cette petite compétition implicite : être présent, être vu, faire partie de la clique. Celle des habitués. Ceux qui ont la cote, qui lancent les sujets, qui savent comment orienter la discussion dans leur sens. Et moi, je veux être dans ce cercle-là, parmi les élus qui définissent ce qui est cool ou pas. Quitte à sacrifier quelques heures de sommeil, quitte à scroller sans fin dans l’ennui pour, au final, n’attraper qu’une bribe de conversation croustillante.
Et n’oublions pas cette histoire de places limitées dans les salons. C’est un peu comme un jeu vidéo rétro où les tickets d’entrée sont comptés. Une fois que le salon est plein, il est plein, et si t’as raté le coche, bon courage pour te connecter sur le même. L’idée de me retrouver en second plan, d’être exclu du salon où tout le monde discute déjà, c’est la panique. Alors je campe. J’observe. J’attends le moment opportun pour sauter dedans. Comme un prédateur. Ou une victime consentante.
Tout ça, c’est la beauté toxique du tchat. Une dopamine subtilement distillée, la peur constante de rater quelque chose d’essentiel, et ce besoin désespéré de faire partie de l’histoire qui se raconte en direct. Un peu comme un film d’horreur dont tu ne peux pas te détourner. Tu sais qu’il y aura des moments où tu regretteras de t’y être impliqué, mais tu ne peux pas t’en empêcher.
Alors oui, voilà pourquoi je suis accro. Parce qu’à chaque nouvelle connexion, je plonge tête baissée dans cette mer agitée de dialogues infinis, en espérant y laisser ma marque.
Et puis, il y a cet autre aspect, que je ne peux pas négliger : les rencontres. Parce qu’on parle souvent du tchat comme d’un gouffre de futilités, de pseudo-conversations éphémères, mais moi j’y ai trouvé bien plus que ça. J’ai parlé à tellement de gens, tissé des liens improbables, parfois même touchants, qui m’ont fait oublier le reste du monde le temps d’une soirée virtuelle. Et ce n’est pas que du blabla en ligne. Ces rencontres se sont parfois transformées en amitiés réelles, avec des visages, des rires partagés autour d’un verre. Au fil des années, le tchat est devenu mon fief. Mon terrain de jeu et de partage. Ma petite cour où j’enrichis mon cercle social, où chaque nouvelle connexion est une porte ouverte vers une discussion inattendue. Ces échanges, c’est un peu ma drogue douce : une façon de cultiver ce lien humain, sans avoir besoin de quitter mon salon. Au fond, c’est grâce à ça que je reste. Parce que je sais que derrière chaque pseudo, il y a une histoire, une possibilité, une rencontre à laquelle je ne m’attendais pas. Et c’est cette richesse qui me nourrit, qui me fait revenir encore et encore.
L’hiver, ce moment où les journées ressemblent à des crépuscules éternels et où le vent froid vous rappelle que votre chauffage a décidé de faire grève. Les rues se vident, les visages se ferment,...