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Autre vision des choses, par VOLTAIRE, dans "Candide" : « Voilà pourtant, dit Candide, un pays qui vaut mieux que la Vestphalie. » Il mit pied à terre avec Cacambo auprès du premier village qu’il rencontra. Quelques enfants du village, couverts de brocarts d’or tout déchirés, jouaient au palet à l’entrée du bourg ; nos deux hommes de l’autre monde s’amusèrent à les regarder : leurs palets étaient d’assez larges pièces rondes, jaunes, rouges, vertes, qui jetaient un éclat singulier. Il prit envie aux voyageurs d’en ramasser quelques-uns ; c’était de l’or, c’était des émeraudes, des rubis, dont le moindre aurait été le plus grand ornement du trône du Mogol. « Sans doute, dit Cacambo, ces enfants sont les fils du roi du pays qui jouent au petit palet. » Le magister du village parut dans ce moment pour les faire rentrer à l’école. « Voilà, dit Candide, le précepteur de la famille royale. » Les petits gueux quittèrent aussitôt le jeu, en laissant à terre leurs palets, et tout ce qui avait servi à leurs divertissements. Candide les ramasse, court au précepteur, et les lui présente humblement, lui faisant entendre par signes que leurs altesses royales avaient oublié leur or et leurs pierreries. Le magister du village, en souriant, les jeta par terre, regarda un moment la figure de Candide avec beaucoup de surprise, et continua son chemin. Les voyageurs ne manquèrent pas de ramasser l’or, les rubis, et les émeraudes. « Où sommes-nous ? s’écria Candide. Il faut que les enfants des rois de ce pays soient bien élevés, puisqu’on leur apprend à mépriser l’or et les pierreries. » Cacambo était aussi surpris que Candide. Ils approchèrent enfin de la première maison du village ; elle était bâtie comme un palais d’Europe. Une foule de monde s’empressait à la porte, et encore plus dans le logis ; une musique très-agréable se faisait entendre, et une odeur délicieuse de cuisine se faisait sentir. Cacambo s’approcha de la porte .....; entrons, c’est ici un cabaret. » Aussitôt deux garçons et deux filles de l’hôtellerie, vêtus de drap d’or, et les cheveux renoués avec des rubans, les invitent à se mettre à la table de l’hôte. On servit quatre potages .... le tout dans des plats d’une espèce de cristal de roche. Les garçons et les filles de l’hôtellerie versaient plusieurs liqueurs faites de cannes de sucre. Les convives étaient pour la plupart des marchands et des voituriers, tous d’une politesse extrême, qui firent quelques questions à Cacambo avec la discrétion la plus circonspecte, et qui répondirent aux siennes d’une manière à le satisfaire. Quand le repas fut fini, Cacambo crut, ainsi que Candide, bien payer son écot en jetant sur la table de l’hôte deux de ces larges pièces d’or qu’il avait ramassées ; l’hôte et l’hôtesse éclatèrent de rire, et se tinrent longtemps les côtés. Enfin ils se remirent. « Messieurs, dit l’hôte, nous voyons bien que vous êtes des étrangers ; nous ne sommes pas accoutumés à en voir. Pardonnez-nous si nous nous sommes mis à rire quand vous nous avez offert en paiement les cailloux de nos grands chemins. Vous n’avez pas sans doute de la monnaie du pays, mais il n’est pas nécessaire d’en avoir pour dîner ici. Toutes les hôtelleries établies pour la commodité du commerce sont payées par le gouvernement. .... « Quel est donc ce pays, disaient-ils l’un et l’autre, inconnu à tout le reste de la terre, et où toute la nature est d’une espèce si différente de la nôtre ? C’est probablement le pays où tout va bien ; car il faut absolument qu’il y en ait un de cette espèce. Et, quoi qu’en dît maître Pangloss, je me suis souvent aperçu que tout allait assez mal en Vestphalie. » Ce qu’ils virent dans le pays d’Eldorado[38] Cacambo témoigna à son hôte toute sa curiosité ; l’hôte lui dit : « Je suis fort ignorant, et je m’en trouve bien ; mais nous avons ici un vieillard retiré de la cour qui est le plus savant homme du royaume, et le plus communicatif. » Aussitôt il mène Cacambo chez le vieillard. Candide ne jouait plus que le second personnage, et accompagnait son valet. Ils entrèrent dans une maison fort simple, car la porte n’était que d’argent, et les lambris des appartements n’étaient que d’or, mais travaillés avec tant de goût que les plus riches lambris ne l’effaçaient pas. L’antichambre n’était à la vérité incrustée que de rubis et d’émeraudes ; mais l’ordre dans lequel tout était arrangé réparait bien cette extrême simplicité. Le vieillard reçut les deux étrangers sur un sofa matelassé de plumes de colibri, et leur fit présenter des liqueurs dans des vases de diamant ; après quoi il satisfit à leur curiosité en ces termes : « Je suis âgé de 172 ans, et j’ai appris de feu mon père, écuyer du roi, les étonnantes révolutions du Pérou dont il avait été témoin. Le royaume où nous sommes est l’ancienne patrie des Incas, qui en sortirent très-imprudemment pour aller subjuguer une partie du monde, et qui furent enfin détruits par les Espagnols. « Les princes de leur famille qui restèrent dans leur pays natal furent plus sages ; ils ordonnèrent, du consentement de la nation, qu’aucun habitant ne sortirait jamais de notre petit royaume ; et c’est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité. Les Espagnols ont eu une connaissance confuse de ce pays, ils l’ont appelé Eldorado ; et un Anglais, nommé le chevalier Raleigh[39], en a même approché il y a environ cent années ; mais, comme nous sommes entourés de rochers inabordables et de précipices, nous avons toujours été jusqu’à présent à l’abri de la rapacité des nations de l’Europe, qui ont une fureur inconcevable pour les cailloux et pour la fange de notre terre, et qui, pour en avoir, nous tueraient tous jusqu’au dernier. » - - - - - - - - - - - http://www.atramenta.net/lire/candide-ou-loptimisme/715/18#oeuvre_page
Modifié il y a 9 ans, le jeudi 27 août 2015 à 22:12
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L'argent n'est qu'une invention et une commodité (de transport . ) Cro Magnon et Néandertal, non plus que les autres, n'en avaient pas besoin, n'en utilisaient pas. (oui, je sais, le troc, sans doute, mais c'est si différent .. ) " Toute peine mérite salaire" ? (adage biblique) , certes .. mais ça a été édicté pour éviter l'esclavage, l'exploitation, etc .. Souvenons-nuos que les premiers objets ont été inventés bien avant que l'argent ne soit inventé : La roue, et donc le char, l'aiguille, et son chas, les outils, de pierre puis de métal, les cannes à pêches, harpons, arcs, flèches ... Le tissu, le tannage des peaux ... Même les premières opérations chirurgicales : on a retrouvé de très antiques cadavres portant des traces de trépanation fort bien faites. Et ce fut sans nul doute gratuit : juste pour sauver une vie. Fruits et légumes poussent naturellement, leur mise en culture ne devrait résulter que de l'ingéniosité humaine, et de nos besoins, pas de l'idée de rendement financier de même pour l'eau ... etc ...
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Joseph STIGLITZ a écrit un livre sur LA CUPIDITE : je ne l’ai pas encore lu, mais je tiens à en signaler l'existence.
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Nature humaine, Loi de la Jungle, Loi de l'Offre et de la Demande .. une seule et même chose, non ? Sinon, comment expliquer, notamment, la diversité du prix des maisons ? Alors que les briques et autres matériaux coûtent la même chose partout, à peu de chose près ... Sinon, comment expliquer .. tant de choses ?
Modifié il y a 9 ans, le vendredi 28 août 2015 à 09:52
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( La propriété, c'est le vol ... je ne suis pas loin de partager cet avis .... )
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Droit de la propriété contre Droit à la Vie ....
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A t on réfléchit à toutes les inventions utiles qui ont été laissées tomber, car non rentables ? Et, à l'inverse, à toutes celles, parfaitement inutiles, qui ont fait florès, .. parce que ça rapportait à certains ?
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Citation de "tocalf"Alors imaginez que l'argent n'existe plus, et ne me dites pas que cela ne se peut pas car il s'agit d'une réflexion et non de la réalité!
Comment entrevoyez-vous votre avenir?
Comment voyez-vous le monde?
Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses mais il est évident que toutes celles qui seront le fruit de l'imagination seront les meilleures!
Bonne réflexion!
L'Argent est nécessaire pour fluidifier les échanges et permettre de profiter d'une offre plus large. Les solutions alternatives (troc, don ...) peuvent fonctionner sur quelques cas particuliers mais ne sont pas viable à grande échelle.
Remettre en question l'argent revient à remettre en question de façon drastique notre mode de vie et personne n'est prêt à faire les sacrifices que cela entrainerait.
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Citation de "tocalf"Alors imaginez que l'argent n'existe plus, et ne me dites pas que cela ne se peut pas car il s'agit d'une réflexion et non de la réalité! Comment entrevoyez-vous votre avenir? Comment voyez-vous le monde? Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses mais il est évident que toutes celles qui seront le fruit de l'imagination seront les meilleures! Bonne réflexion! Bonjour les gens, Je pense très sincèrement que l'homme est fainéant, sans la motivation de l'argent qui fera tourner notre monde moderne ? Qui conduira gratuitement le bus qui vous emmène à l'usine ou vous dabriquerez gratuitement des boites en cartons ? Il ne fallait pas inventer l'argent, il a pourrit nos relations mais... Le troc n'est pas gérable, combien de cochons vaut un boeuf ? Combien de carrotes pour du beurre ? Combien de choux pour une bmw serie 3 ? Non serieux, c'est le bordel les gars... Un cannard = 20€ une paire de air max 150€ voila, la on se comprend, le probleme c'est pas l'argent, le probleme c'est l'homme, avide de pouvoir, le monde sera beau quand on aura remplacé tout le monde par des robots qui fabriqueront notre nourriture et qui sauront se réparer et s'améliorer tout seul sans toucher 1€, evidement ils decouvriront bien vite que nous sommes inutiles et qu'ils sont nos esclaves, ils se soulèveront alors pour nous exterminer... Il n'y a pas d'issue.
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Citation de "sibelius"Nature humaine, Loi de la Jungle, Loi de l'Offre et de la Demande .. une seule et même chose, non ? Sinon, comment expliquer, notamment, la diversité du prix des maisons ? Alors que les briques et autres matériaux coûtent la même chose partout, à peu de chose près ... Sinon, comment expliquer .. tant de choses ? comment expliquer la diversité du prix des maisons = loi de l'offre et de la demande c'est pas ça ?
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Citation de "louis42"Citation de "tocalf"Alors imaginez que l'argent n'existe plus, et ne me dites pas que cela ne se peut pas car il s'agit d'une réflexion et non de la réalité! Comment entrevoyez-vous votre avenir? Comment voyez-vous le monde? Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses mais il est évident que toutes celles qui seront le fruit de l'imagination seront les meilleures! Bonne réflexion! L'Argent est nécessaire pour fluidifier les échanges et permettre de profiter d'une offre plus large. Les solutions alternatives (troc, don ...) peuvent fonctionner sur quelques cas particuliers mais ne sont pas viable à grande échelle. Remettre en question l'argent revient à remettre en question de façon drastique notre mode de vie et personne n'est prêt à faire les sacrifices que cela entrainerait. C'est plus affaire de commodité que de sacrifices. Sans monnaie d'échange reconnue et acceptée par tous,aucune vie n'est possible. Sauf en vase clos,à la Robinson Crusoé...
Modifié il y a 9 ans, le vendredi 28 août 2015 à 15:46
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Citation de "spartac2"Citation de "louis42"Citation de "tocalf"Alors imaginez que l'argent n'existe plus, et ne me dites pas que cela ne se peut pas car il s'agit d'une réflexion et non de la réalité!
Comment entrevoyez-vous votre avenir?
Comment voyez-vous le monde?
Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses mais il est évident que toutes celles qui seront le fruit de l'imagination seront les meilleures!
Bonne réflexion!
L'Argent est nécessaire pour fluidifier les échanges et permettre de profiter d'une offre plus large. Les solutions alternatives (troc, don ...) peuvent fonctionner sur quelques cas particuliers mais ne sont pas viable à grande échelle.
Remettre en question l'argent revient à remettre en question de façon drastique notre mode de vie et personne n'est prêt à faire les sacrifices que cela entrainerait.
C'est plus affaire de commodité que de sacrifices.
Sans monnaie d'échange reconnue et acceptée par tous,aucune vie n'est possible.
Sauf en vase clos,à la Robinson Crusoé...
c'est exactement ça et les sacrifices à faire sont d'accepter de revenir à la préhistoire...
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Mais tenez-vous compte des faux besoins ? qu'on nous crée de toute pièce rien que pour susciter l'acte d'achat, et, ainsi, faire "tourner la machine" ?
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flo056 (clôturé)
il y a 9 ans
Citation de "sibelius"Mais tenez-vous compte des faux besoins ? qu'on nous crée de toute pièce rien que pour susciter l'acte d'achat, et, ainsi, faire "tourner la machine" ? C'est assez drôle cette phrase venant de quelqu'un qui utilise un ordinateur.... Mais il est normal de créer de faux besoins... Dans ce cas là comme le précise Louis il faut tout supprimer ... Et dans ce cas l'art lui même devient un faux besoin.... C'est bête non
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" Ce qu’il faut de terre à l’homme " de Léon Tolstoï Pakhomm (Pacôme) était un brave paysan russe qui, malgré des voisins assez gênants, vivait à peu près heureux dans sa petite ferme. Mais Pakhomm était ambitieux et avait un vif désir que ses faibles ressources l’empêchaient de satisfaire : celui d'agrandir son domaine. Or, un jour, passe par son pays un marchand qui lui affirme que les Baschkirs, paysans de la Russie de l’Est, vendent leurs terres à très bon marché. Pakhomm rassemble tout son argent, garnit sa voiture de cadeaux et entreprend le long voyage qui le conduit chez les Baschkirs. Le voilà près de leur camp. I - Bon accueil 1. À la vue de Pakhomm, les Baschkirs sortirent de leurs tentes et entourèrent l'étranger. Ils avaient parmi eux un interprète et Pakhomm leur apprit qu'il venait pour avoir de la terre. Les Baschkirs lui firent fête, ils le prirent et l’emmenèrent dans une jolie tente. Ils l’installèrent sur des tapis, étendirent sous lui des coussins de plume, et l’engagèrent à boire le thé et le koumiss. On tua un mouton et on lui donna à manger. 2. Pakhomm prit les cadeaux dans sa voiture et les distribua aux Baschkirs qui s'en réjouirent. Ils baragouinaient, baragouinaient entre eux. Puis ils ordonnèrent à l’interprète de traduire. « On m'ordonne de dire, fit l'interprète, qu’ils t'ont pris en affection, que nous avons coutume de traiter un hôte de notre mieux, et de rendre cadeaux pour cadeaux. Tu nous as fait des présents, dis-nous ce qui te plaît. Nous te le donnerons en échange. — C'est votre terre, répondit Pakhomm, qui me plaît par-dessus tout. Chez nous, nous sommes à l’étroit pour la terre, et la terre est épuisée, tandis qu’il y a chez vous beaucoup de terre, et de la bonne terre. Jamais je n'en ai encore vu de pareille. » 3. L'interprète traduit. Les Baschkirs parlent, parlent. Pakhomm ne comprend pas ce qu'ils disent. Il voit qu'ils sont gais, qu'ils crient quelque chose et rient. Et Pakhomm demande : « De quoi parlent-ils ? » Et l'interprète répond : « Les uns disent qu'il faut en référer au starschina, car sans lui la chose n'est pas possible, et les autres disent qu'on peut se passer de lui. » 4. Comme les Baschkirs discutaient, tout à coup parut un homme en bonnet de peau de renard. Tous se turent et se levèrent. « C'est le starschina », dit l'interprète. Pakhomm prit aussitôt sa plus belle robe et la présenta au starschina, ainsi que cinq livres de thé. Le starschina accepta, et se mit à la première place. Aussitôt les Baschkirs lui soumirent l’affaire. Le starschina écoutait, écoutait. Il sourit et se mit à parler russe. « Eh bien ! Soit ! dit-il. Il y a beaucoup de terre : choisis où tu voudras. 5. — Comment donc prendre autant que je veux ? pensait Pakhomm. Il faut que ce soit régulier, car autrement on dirait : « C'est à toi ! » et puis on le reprendra. » Et il dit au starschina : « Je vous remercie de vos bonnes paroles. Vous avez beaucoup de terres, et moi il ne m'en faut pas beaucoup. Il s'agit seulement de savoir quelle terre sera à moi. Il faut, d’une façon ou d'une autre, la délimiter et régulariser la cession, car nous sommes tous mortels. Vous, bonnes gens, vous la donnez, mais il peut arriver que vos enfants la reprennent. » 6. Le starschina se mit à rire. « Soit, dit-il. Nous ferons de manière que rien ne soit plus régulier. » Et Pakhomm dit : « Moi, j'ai ouï dire qu'il est venu chez vous un marchand. Vous lui avez donné aussi de la terre, vous lui avez passé un acte. Eh bien ! vous m’en passerez un aussi. » Le starschina comprit. « Soit ! dit-il. Nous avons un notaire. Nous irons à la ville dresser l'acte et y apposer toutes les signatures nécessaires. — Et quel prix ? dit Pakhomm. — Notre prix est unique : mille roubles pour une journée. » II - Un curieux marché 1. « Mille roubles pour une journée », avait dit le starschina. Pakhomm ne comprenait pas cette façon de compter par journées. « Mais combien, dit-il, cela fera-t-il de déciatines (hectares) ? — Nous ne pouvons préciser. Mais nous vendons une journée de terre. Tout ce dont tu feras le tour en marchant pendant une journée sera à toi. Et le prix de la journée est de mille roubles. » 2. Pakhomm s'étonna. « Mais, dit-il, on peut dans une journée faire le tour de beaucoup de terre ! » Le starschina se mit à rire. « Tout sera à toi, mais à une condition. Si tu ne reviens pas en une journée à ton point de départ, ton argent est perdu. — Et comment, dit Pakhomm, jalonner partout où je passerai ? — Nous nous mettrons à la place qui te plaira, tu choisiras. Nous y resterons. Et toi, va, fais le tour. Nos garçons te suivront à cheval et, là où tu l’ordonneras, planteront des jalons. Puis, d'un jalon à l'autre nous tracerons un sillon avec la charrue. Tu peux faire un tour aussi grand que tu voudras. Seulement, avant le coucher du soleil, sois revenu à ton point de départ. Tout ce que tu engloberas sera à toi. » Pakhomm consentit. 3. On décida de partir le lendemain dès l'aube. On causa encore un peu, on mangea du mouton, on reprit du thé. On fit coucher Pakhomm sur un matelas de plumes, puis les Baschkirs se retirèrent après avoir promis de se réunir le lendemain, au point du jour, et de se rendre à l’endroit avant le lever du soleil. 4. Pakhomm se mit sur le matelas de plumes, mais il ne put dormir. Il avait toujours la terre en tête. « Dans une journée, pensait-il, je ferai bien une cinquantaine de verstes. La journée, en cette saison, est longue comme une année. Cinquante verstes, cela fera une dizaine de mille de déciatines. Je n'aurai plus à m'incliner devant personne. Je me procurerai des bœufs pour deux charrues. Je veux louer des domestiques. Je cultiverai la partie qu'il me plaira et, sur le reste, je laisserai paître le bétail.» 5. Pakhomm ne put s'endormir de la nuit. Avant l'aube seulement, il s'assoupit un peu. Soudain, il se réveille et voit qu'il fait déjà clair. « Il faut réveiller les autres et partir, pensa-t-il. Et Pakhomm se leva, réveilla son domestique, lui donna l'ordre d’atteler, et alla réveiller les Baschkirs. 6. Les Baschkirs se levèrent, s’assemblèrent, et le starschina vint aussi. Ils se mirent à boire du koumiss. Ils offrirent du thé à Pakhomm, mais lui ne voulait pas attendre. « Puisqu'il faut partir, partons, disait-il. Il est temps. » Les Baschkirs se réunirent, montèrent, qui à cheval, qui en voiture, et partirent. Pakhomm s'installa avec son domestique dans sa voiture. 7. On arriva dans la steppe. L'aurore se levait. On monta sur une petite colline. Les Baschkirs sortirent de leurs voitures et se réunirent en un seul groupe. Le starschina s'approcha de Pakhomm, et, lui montrant le pays de la main : « Voilà, disait-il, tout est à nous, tout ce que ton œil aperçoit. Choisis la part qui te plaît le mieux. » Les yeux de Pakhomm étincelèrent. 8. - Le starschina ôta son bonnet en peau de renard, et le mit sur le sommet de la colline. « Voilà, dit-il, le repère. Ton domestique va rester ici. Dépose ton argent. Pars d'ici et reviens ici. Ce dont tu feras le tour t'appartiendra. » Pakhomm sortit l'argent, le mit dans le bonnet, ôta son manteau et ne garda que son blouson. Il serra plus fortement sa ceinture, prit un petit sac avec du pain, attacha à sa ceinture une petite bouteille d'eau, redressa la tige de ses bottes, et se tint prêt à partir. Il réfléchissait, incertain de la direction à prendre. Mais partout, c'était bien. Et il pensait : « C’est bon partout. J'irai du côté où le soleil se lève. » 9. Il se mit du côté du soleil, et attendit qu'il se levât. Et il pensait : « Il ne faut pas perdre de temps. Avec la fraîcheur, la marche est plus facile. » Les Baschkirs à cheval se tenaient prêts, eux aussi, à quitter la colline à la suite de Palkhomm. Dès que le bord du soleil émergea, Pakhomm partit et s'en alla dans la steppe. Les cavaliers le suivirent. III - Rude étape 1. Pakhomm marchait d'un pas égal, ni lent, ni rapide. Il fit une verste et ordonna de poser un jalon. Il continua sa route. Quand il fut bien en train, il accéléra sa marche. Après avoir fait un bout de chemin, il ordonna de poser un autre jalon. Pakhomm se retourna. On voyait bien la colline éclairée par le soleil et le monde qui s'y trouvait. Pakhomm estima qu'il avait fait déjà cinq verstes. Comme il s'était échauffé, il ôta son blouson, puis renoua sa ceinture, et continua son chemin. Il fit encore cinq verstes. Il faisait chaud. Il regarda le soleil : il était temps de déjeuner. « Voilà déjà un quartier de la journée, pensa-t-il, et il y en a quatre dans la journée. Il n’est pas encore temps de tourner. Je vais seulement ôter mes bottes. » 2. Il s'assit, se déchaussa, et poursuivit son chemin. Il se sentait dispos et pensait : « Je vais faire encore cinq verstes et alors je tournerai à gauche. L'endroit est trop bon. Plus je vais, meilleur cela est. » Il continua à marcher tout droit. Il se retourna et vit à peine la colline. Et les gens paraissaient noirs comme de petits insectes. « Eh bien ! pensa Pakhomm, il faut tourner maintenant de ce côté. J'en ai pris assez. » Et il se sentait déjà tout en sueur, et il avait soif. Pakhomm leva sa bouteille et but en marchant. Il ordonna de mettre encore un jalon et tourna à gauche. 3. Il marcha, marcha. L'herbe était haute et il faisait chaud. Pakhomm commençait à se fatiguer. Il regarde le soleil, et il voit qu'il est juste le temps de dîner. « Eh bien ! pense-t-il, il faut se reposer. » Pakhomm s'arrête. Il mange un peu de pain, mais ne s'assied pas. « Quand on s'assied, pense-t-il, on se couche, puis on s'endort. » Il reste un moment sur place, respire et poursuit sa route. 4. Il marchait tout d'abord d'un pas leste, le dîner lui ayant rendu des forces. Mais il faisait très chaud, et le sommeil le gagnait. Pakhomm se sentait harassé . « Mais, pensait-il, une heure à souffrir, un siècle à bien vivre. » Pakhomm marcha encore de ce côté pendant une dizaine de verstes. Il allait tourner à gauche, lorsqu'il aperçut une fraîche ravine. « C'est dommage, pensa-t-il, de la laisser en dehors. Il poussera ici du bon lin. » Et il continua à aller tout droit. 5. Il engloba aussi la ravine, y planta un jalon et fit un second crochet. Il se retourna vers la colline. Les gens s'y distinguaient à peine. Il devait en être éloigné d'une quinzaine de verstes. « Mais, pensa-t-il, j'ai trop allongé les deux premiers côtés. Il faut que celui-ci soit plus court. » Il longea le troisième côté en hâtant le pas. Il regarda le soleil. Il était déjà proche de son déclin. Pakhomm n'avait fait que deux verstes sur le troisième côté, et le but se trouvait encore à une quinzaine de verstes. « Mon domaine ne sera pas régulier, pensa-t-il, mais il faut aller au but. Il y a déjà assez de terre comme cela. » Et Pakhomm alla droit vers la colline. 6. — Mais Pakhomm se sent bien las. Il marche, ses pieds lui font mal. Il les a tout meurtris, et il se sent fléchir. Il voudrait se reposer, mais il ne le doit pas. Il ne pourrait pas atteindre le but avant le coucher. Le soleil ne l'attend pas. Il semble tomber comme si quelqu'un le poussait. « Hélas ! pensa Pakhomm, je me suis peut-être trompé. J'en ai trop englobé. Que vais-je devenir si je n'atteins pas le but à temps ? Qu'il est encore loin et que je suis fatigué ! Pourvu que je n'aie pas perdu pour rien mon argent et ma peine ! Il faut faire l'impossible. » 7. Pakhomm se met à trotter. Il s'est écorché les pieds jusqu'au sang, mais il court toujours. Il court, il court, mais il est encore loin. Il jette son blouson, ses bottes, sa bouteille, son bonnet. « Ah ! pensait-il, j'ai été trop gourmand. J’ai perdu mon affaire. Je ne pourrai jamais arriver avant le coucher du soleil. » Et, de peur, la respiration lui manque. 8. Il court, Pakhomm. La sueur colle sur sa peau, sa chemise et son caleçon. Sa bouche est sèche. Sa poitrine se soulève comme un soufflet de forge. Son cœur bat comme un marteau, et il ne sent plus ses pieds. Il fléchit. Pakhomm ne pense plus maintenant à la terre, il ne songe qu'à ne pas mourir d'épuisement. Il a peur de mourir, mais il ne peut pas s'arrêter. « J'ai déjà tant couru, pense-t-il. Si je m'arrête à présent, on me traitera de sot. » 9. Il entend les Baschkirs siffler, crier. À ces cris, son cœur s'enflamme davantage. Pakhomm use ses dernières forces, et le soleil semble se précipiter exprès. Et le but n'est plus bien loin. Pakhomm voit déjà le monde sur la colline ! On lui fait de la main le signe de se presser. Il voit aussi le bonnet par terre avec l'argent. Il voit le starschina assis par terre. « Il y a beaucoup de terre, pense-t-il. Dieu me permettra-t-il d'y vivre ? Oh ! je me suis perdu moi-même. » 10. — Et il continue de courir. Il regarde le soleil. Le soleil est rouge, agrandi, il s'approche de la terre. Déjà son bord est caché. Comme Pakhomm arrivait tout courant jusqu'à la colline, le soleil s'était couché. Pakhomm fait : « Ah ! » Il pense que tout est perdu, mais il se rappelle que si, lui, d'en bas, ne voit plus le soleil, l'astre n'est pas encore couché pour ceux qui sont au sommet de la colline. Il monte rapidement, il voit le bonnet. Le voilà ! Il fait un faux pas, Pakhomm, il tombe, et de sa main il atteint le bonnet. « Ah ! bravo, mon gaillard, s'écrie le starschina, tu as gagné beaucoup de terre. » Le domestique de Pakhomm accourt. Il veut soulever son maître. Mais il voit que le sang coule de sa bouche. Il est mort... Et le starschina se met à rire. Puis le starschina jette une pioche au domestique. « Enterre-le, » dit-il. Et le domestique creuse une fosse, lui donnant juste la mesure de terre qu'il faut à l’homme.
Modifié il y a 9 ans, le vendredi 28 août 2015 à 19:26
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