jim555

LE CRIME COLONIALE FRANCAIS -3-

il y a 12 ans
Auteur Message
Photo de jim555
jim555 (clôturé) il y a 12 ans

La déposition de René Jannin, ancien préfet de police d’Alger, au procès de Raoul Salan [1].

Audience du 17 mai 1962.


LE PRÉSIDENT. - Faites votre déposition d’ensemble sur ce que vous savez de ce qui s’est passé en Algérie pendant votre présence là-bas. Vous y étiez en qualité de Préfet de Police.





Extrait du livre "Parler des camps, penser les génocides", de Sadek Sellam, Albin Michel 1999.


La politique de la France en Algérie aurait dû reposer sur la convention dans laquelle le général de Bourmont promettait, lors de la prise d’Alger le 5 juillet 1830, que

« l’exercice de la religion mahométane restera libre ; la liberté de toutes les classes d’habitants, leur religion, leurs propriétés, leur commerce ne recevront aucune atteinte. Les femmes seront respectées. Le général en chef en prend l’engagement sur l’honneur. » [1]

Le non-respect de cette « parole donnée à l’Islam » (L. Massignon), qui fut à l’origine de la durable crise de confiance entre la France et les musulmans d’Algérie, commença deux mois après cet engagement solennel, lorsque le successeur de Bourmont, le général Clauzel, inaugura la politique de privation de la religion musulmane de ses moyens d’existence par la confiscation des habous (biens de main-morte servant à l’entretien des lieux de culte, au financement de l’enseignement religieux et de l’action de bienfaisance) [2]. C’est que les références au droit et à la morale durent être relativisées au profit de la conquête militaire [3] et des besoins de la colonisation terrienne, dont les appétits conduisirent au labour d’un grand nombre de cimetières musulmans [4].

La « pacification », qui dura jusqu’au « nettoyage de la Kabylie » en 1857, fut obtenue au prix de la systématisation des razzias par le général Lamoricière et la politique de la « terre brûlée » du maréchal Bugeaud. De nombreuses affaires datant des débuts de la conquête confirment que l’armée d’Afrique accepta de mener une « guerre sans lois » (Pierre Montagnon), dans laquelle la fin justifiait souvent les moyens. Certaines opérations s’apparentaient à des crimes de guerre caractérisés. L’un des plus spectaculaires actes de cruauté froide, classable parmi cette catégorie de violences, fut le massacre, en avril 1832, de la petite tribu des Ouffia qui fut décidé par le gouvernement policier du duc de Rovigo. Soupçonnée d’avoir commis un vol dont avait été victime un cheikh rallié à la France qui se rendait à Alger en provenance de Constantine, la tribu des Ouffia fut exterminée près de Maison-Carrée, « sans enquête, ni preuve [5] ».

"Tout ce qui vivait fut voué à la mort ; tout ce qui pouvait être pris fut enlevé, on ne fit aucune distinction d’âge ni de sexe. Cependant l’humanité d’un petit nombre d’officiers sauva quelques femmes et quelques enfants. En revenant de cette funeste expédition, plusieurs de nos cavaliers portaient des têtes au bout de leurs lances et une d’elles servir, dit-on, à un horrible festin." [6]

Cette expédition fit une centaine de morts et un butin de deux mille moutons, sept cents bœufs et une trentaine de chameaux qui furent vendus de gré à gré sur le marché de Bab Azoun où l’on « voyait des bracelets encore attachés au poignet coupé et des boucles d’oreilles sanglantes !!! [7] ». Il fut reconnu que les voleurs appartenaient à une autre tribu, mais le cheikh des Ouffia fut condamné à mort et exécuté. Sa grâce fut refusée par le duc de Rovigo qui, pour satisfaire ses « convenances personnelles » (Pellissier de Reynaud), voulut « en toute tranquillité de conscience laisser aller la justice ».

La généralisation de la guerre fut à l’origine d’autres formes de violence qui devraient être rangées facilement aujourd’hui dans la catégorie des « crimes contre l’humanité ». C’est le cas notamment de la pratique des enfumades et des emmurements qui provoquaient à chaque fois la mort de plusieurs centaines de personnes par asphyxie. L’existence de ces « chambres à gaz » de fortune fut révélée lors de la répression de l’insurrection menée dans le Dahra en 1845 par un jeune chef maraboutique d’une vingtaine d’années surnommé Boumaza (l’homme à la chèvre), qui s’attribuait le titre messianique de « maître de l’heure » Devant les difficultés à réprimer cette insurrection, le colonel Pélissier décida de poursuivre les Ouled Riah qui s’étaient retranchés par centaines dans des grottes de montagne. Des fascines enflammées furent placées, et systématiquement entretenues, devant les issues des grottes où s’était réfugiée une partie de la tribu. Le lendemain, on trouva des centaines de cadavres (d’hommes, de femmes et d’enfants) amoncelés. Il y eut au moins cinq cents victimes ; on parla même d’un millier de morts. A la suite de l’invitation du gouvernement à « répudier avec horreur, pour l’honneur de la France » (Montalembert) ce « meurtre consommé avec préméditation sur un ennemi sans défense » (prince de la Moskowa), le maréchal Soult (alors ministre de la Guerre) fut amené à « déplorer » ce forfait. Au ministre qui ne voulait pas croire « que le colonel ait eu des ordres pour employer de tels moyens », Bugeaud - qui demanda aux membres de la Chambre des pairs de lui indiquer des procédés plus moraux lui permettant de gagner la guerre - répondit qu’il prenait « toute la responsabilité de cet acte », car il avait prescrit d’en user ainsi « à la dernière extrémité ».

L’année précédente, le général Cavaignac avait utilisé le même procédé pour obtenir la reddition de la tribu des Sbéahs. Le général Canrobert en a donné le récit suivant :

"On pétarada l’entrée de la grotte et on y accumula des fagots de broussailles. Le soir, le feu fut allumé. Le lendemain quelques Sbéahs se présentèrent à l’entrée de la grotte, demandant l’aman à nos postes avancés. Leurs compagnons, les femmes et les enfants étaient morts." [8]

Quelques semaines après l’affaire des Ouled Riah, le colonel SaintArnaud montra autant de discrétion que le général Cavaignac l’année précédente lorsqu’il emmura d’autres Sbéahs :
"Je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes ; personne... que moi ne sait qu’il y a là;-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français. Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal simplement, sans poésie terrible ni images." [9]

Selon quelques survivants, les bœufs, excités par la privation d’air, avaient écrasé les gens à terre, augmentant ainsi le nombre des victimes de ce « vaste cimetière » demeuré fermé et où, selon un observateur qui écrivait en 1864, « tous, hommes, femmes, enfants, troupeaux, sont encore Idem. [10] ». Faute de pouvoir enfumer, Canrobert pratiqua aussi l’emmurement dans une expédition au nord du Dahra.

" Comme il n’y a pas de bois, je bouche l’entrée de la caverne avec des pierres. Si j’avais fait autrement un grand nombre de nos soldats seraient tombés inutilement sous les balles arabes."

De ces quatre sinistres aventures de grottes, seule l’affaire des Ouled Riah fut « médiatisée ». Car Bugeaud, qui était en expédition, ne put arrêter le rapport du colonel Pelissier qui finit entre les mains du prince de la Moskowa. Pour C. A. Julien, « il est probable que la pratique - des enfumades et des emmurements - fut plus fréquente qu’il ne paraît ». Il convient de préciser que l’armée française a eu recours à l’emmurement des grottes pendant la guerre de 1954 à 1962.

Les habitudes prises durant les opérations de la conquête ont survécu à la « pacification [11] », et les méthodes utilisées pour réprimer les grandes insurrections ne furent pas plus morales. L’atmosphère dans laquelle furent tués près de deux mille « indigènes » pour réprimer la révolte menée en 1871-1872 par le bachaga El Moqrani avec l’aide du chef de la confrérie des Rahmanya, le cheikh E1 Haddad, justifia l’internement des chefs insurgés dans des bagnes comme celui de Cayenne et la confiscation des biens des tribus, qui entraîna un exode massif de la Kabylie vers la Mitidja et le Constantinois.

Ces mesures inspirèrent les dispositions du « système de l’indigénat » qui, en instituant un droit à deux vitesses, légalisa, à l’intention des « indigènes musulmans non naturalisés », le séquestre (qui avait été supprimé en France par l’Ancien Régime), les commissions disciplinaires, puis les tribunaux répressifs (qui ignoraient la séparation du judiciaire et du policier) et le principe de la responsabilité collective. En parachevant ce dispositif juridique d’exception au moment du Centenaire de la révolution de 1789, la IIIe République renonça à l’universalité des Droits de l’homme et tourna résolument le dos à la formule d’un des révolutionnaires : « Que périssent les colonies pour que vivent les principes. »

Le triomphalisme colonial permit même d’envisager d’assurer la parité démographique entre Européens et musulmans en réduisant, par la guerre ou par la politique, le nombre de ces derniers, dans la foulée des grandes famines des années 1860, qui furent provoquées notamment par la disparition des silos collectifs consécutive à la ruine de l’économie traditionnelle. Selon les déductions faites du recensement approximatif de 1872, près de six cent mille musulmans ont disparu à partir de 1861, à la suite de la désagrégation du système économique traditionnel précipitée par la politique de « cantonnement » que le général Lapasset résuma en deux mots : « vol et spoliation [12] » On croyait alors à « une diminution inéluctable des populations indigènes frappées par le choc d’une civilisation supérieure. Ainsi en avait-il été en Amérique lors de l’arrivée des Européens, et d’aucuns, en Algérie surtout, prophétisaient la "disparition fatale de la race indigène" [13] ».

C’est sans doute de cette époque que date l’élaboration d’un scénario d’« extermination des indigènes » décrit dans des archives inédites que mentionnait récemment un ancien archiviste de la préfecture d’Alger [14]. En 1892, cette « solution finale » était encore évoquée, mais pour mieux la réfuter, par le positiviste islamophile Charles Mismer, qui parlait des musulmans d’Algérie en ces termes :

" Les convertir est impossible : jamais leur Dieu ne capitulera devant la Trinité chrétienne !... Les détruire, comme des Peaux-Rouges, est également impossible : à défaut du monde civilisé, leur nombre et leur vaillance les protégeraient. Reste la justice." [15]

Les quelques mesures de justice prises par Clemenceau en 1919, en hommage aux quatre-vingt mille soldats musulmans morts pendant la guerre de 1914-1918, contribuèrent à faire oublier ces velléités et à estomper les souvenirs des brutalités de la conquête et des méthodes utilisées dans la répression des révoltes, comme celles de Margueritte (1901) et des Aurès (1916). Jusqu’à ce que la tentative de participation des Algériens du Constantinois à la célébration de la victoire contre le nazisme, le 8 mai 1945, tourne à 1’émeute et conduise à une répression implacable, qui remit à l’ordre du jour tous les traumatismes passés que l’on croyait atténués par le sentiment de la « fraternité d’armes » de la Deuxième Guerre mondiale (au cours de laquelle douze mille soldats musulmans algériens furent tués) et les promesses successives de faire évoluer le sort des « indigènes ».

La répression menée conjointement par l’armée (y compris l’aviation et les navires de guerre en rade de Bougie et Djidjelli qui bombardèrent l’arrière-pays), la police et les milices [16] des colons, fit plusieurs milliers de morts, dans la région de Sétif et de Kherrata notamment.
"Jamais depuis 1842, et le maréchal de Saint-Arnaud, l’Algérie n’avait connu, même aux jours les plus sombres de son histoire, de répression plus féroce contre un peuple sans défense...

Sur les routes, à travers les sentiers, dans les champs, dans les rivières, et dans les ravins, ce n était que cadavres entrouverts où s’engouffrait la gueule sanglante de chiens affamés... Çà et là des villages entièrement rasés éléments d’une humanité primitive- fuyant sous les balles meurtrières des civilisés. Dans les charniers de morts peut-être étaient-ils quelques coupables. Il y avait sûrement en tout cas des dizaines d’innocents." [17]

Ce drame a fait l’objet d’une bataille de chiffres qui dure jusqu’à nos jours. M. Kaddache résume ainsi les différents bilans avancés :

Le gouvernement de la Libération parla de 1 500 morts musulmans, les militaires de 6 000 à 8 000, les milieux américains parlèrent de 35 000 et même de 80 000. Les militants algériens retinrent le chiffre de 45 000 ( [18].

Selon Ageron, « la répression judiciaire toucha près de cinq mille suspects arrêtés. Les tribunaux militaires prononcèrent près de mille quatre cents condamnations dont une centaine à la peine de mort. On ne compta que vingt à vingt-huit exécutions. Le P.P.A. (Parti du peuple algérien) parla aussitôt de "génocide" [19] ». Jacques Berque donne une idée de la singulière ambiance dans laquelle fut menée cette répression. Il rapporte les récits d’un officier des affaires indigènes qui y participa à la tête d’un goum marocain :

" On avait bombardé, en dépit du tricolore arboré, des hameaux présumés rebelles, ou pour l’exemple. Dans l’auditoire, plusieurs officiers dirent assez haut que ce n’était pas agir en soldats. L’orateur lui-même clamait sa réprobation devant l’hypocrisie d’un maire colon qui, après lui avoir élogieusement présenté des conseillers communaux, l’avait pris à part pour lui demander de fusiller l’un d’entre eux, musulman, coupable, paraît-il, de menées antifrançaises. Même pour le sabreur, c’en fut trop..." [20].



M. JANNIN. - Préfet de Police de mars 1961 à décembre, depuis directeur de la Sûreté nationale de décembre 1961 à avril de cette année.

A ce titre je dois vous dire que l’O.A.S. a été ma principale pré;occupation alors que parallèlement, dès mon arrivée en Algérie comme Préfet de Police d’Alger, j’avais en même temps à assurer la lutte contre la rébellion musulmane.

Aux deux postes où j’ai exercé ces responsabilités, j’ai assisté aux maux toujours grandissants que cette organisation portait à l’Algérie, et j’ai été amené en conscience à la considérer toujours plus nettement comme une sorte de syndicat du crime. Le bilan très lourd des exactions, je le rappellerai rapidement si vous le voulez bien : plus de 7 000 plasticages contre les biens, plus de 2 000 attentats contre les personnes, qui ont fait, au moment oü j’ai quitté l’Algérie, environ 1 200 victimes musulmanes et près de 200 européennes. Plus de 5 000 armes ont été volées, et je rappellerai que plus de 4 milliards d’anciens francs ont également été dérobés de différentes façons.

Les forces de l’ordre qui se sont trouvées sous ma responsabilité, notamment à Alger, ont subi des coups durs de la part de cette organisation. Plus de 140 hommes et officiers ont payé de leur vie leur sens du devoir. Plus de 90 policiers dans ces 140 ont également été exécutés. Dans ces 90 : 6 commissaires de police dont 2 musulmans.

Je manquerais au serment que je vous ai prêté tout à l’heure, si je ne faisais certaines observations à ce triste bilan.

Les chiffres que je viens de donner pourront être soumis à discussion, mais il ne faut pas oublier que nous avons affaire a une organisation clandestine pour laquelle tous les mensonges, toutes les manœuvres sont possibles. Je vous citerai un exemple qui me vient à l’esprit : l’assassinat dans des conditions abominables du directeur musulman de l’école des Sources à Birmandreis, assassiné dans sa classe, devant ses élèves. Devant l’émotion soulevée par un tel acte, l’organisation a rédigé un tract ne reconnaissant pas la paternité de cette affaire. Malheureusement, quelques semaines après, mes services ont arrêté un des membres du réseau Delta de Degueldre qui, lui, a reconnu être l’auteur de cet acte.

Ma seconde observation sera que le bilan de ces actes qui peuvent donner lieu à inculpation ne traduit que très faiblement la triste histoire de cette organisation, car encore faudrait-il avoir des documents photographiques ou filmés pour se faire mieux une idée de ce que cela représente. Ainsi je vous dirai que le plasticage, qui parait être un moyen bénin de terreur, peut avoir quelquefois des conséquences extrêmement graves. Je me souviens du cas du Dr Lejeune qui avait accepté, c’était là je crois son seul tort, de faire partie de la délégation spéciale de la ville d’Alger, délégation spéciale qui avait été créée après la dissolution du Conseil municipal d’Alger après le putsch, et je rappellerai, en dehors d’aucune action politique, qu’elle avait comme mission simplement de faire tourner les services publics d’Alger, eh bien ! la villa du Dr Lejeune a été plastiquée très peu de temps après sa nomination, et un de ses très jeunes enfants a perdu la parole pendant cinq jours. D’après des renseignements précis qui me sont parvenus depuis, il est probable que ce jeune enfant conservera toute sa vie des suites de cette commotion.

Je ne m’étendrai pas sur la vie du plastiqué banal qui, sans aucun tort, sans avoir rien à se reprocher, se trouve tout d’un coup avoir perdu tous ses biens, voué à l’hostilité de son voisinage et obligé de quitter son quartier.

J’en ai terminé pour les biens, je parlerai rapidement des circonstances particulièrement tragiques de certains attentats.

Le grand écrivain Feraoun ne figurait pas sur la liste noire des personnes à abattre lors de l’affaire des Centres sociaux de Bel Aknoun. Une erreur d’orthographe ou de prononciation l’a fait mettre sur la liste d’appel. Il me faudrait des heures parler de ces souffrances, de ces meurtres qui donnent l’impression d’un délire de la part de l’organisation. Mais les documents que nous avons saisis - car on écrit beaucoup dans cette organisation - les déclarations des individus arrêtés - on parle aussi beaucoup lorsqu’on est arrêté- ces documents, ces déclarations donnent la certitude d’une volonté concertée de destruction, destruction des personnes et destruction des biens.

A partir du mois de février, en raison des coups très durs que les forces de l’ordre avaient portés à l’organisation, on en arrive à établir des listes d’étudiants européens simplement suspects de fréquenter des étudiants musulmans, et ordre est donné d’en abattre quelques-uns.

Je serais incomplet, si je ne parlais pas du climat de haine dans lequel se sont trouvées les forces de l’ordre ; je veux dire la police, la gendarmerie, les C.R.S. Et si vous me permettez, je leur rendrai ici un très particulier hommage.

Ces forces particulièrement fragiles, étant donné qu’elles vivent au milieu de la population, sont entourées d’un climat de haine. A un moment il a été indiqué dans l’organisation, je crois fin février, qu’on devait tirer à vue sur les gendarmes et sur les C.R.S., sur ces gens qui, pendant sept ans, au mépris de très grandes souffrances, de très grandes fatigues, ont défendu là-bas les personnes et les biens, et qui continuent à le faire.

J’évoquerai très rapidement la mémoire de mon principal collaborateur : le commissaire divisionnaire Gavoury, auquel la population d’Alger doit tant, lors des tragiques événements de 1960, car il a su par son courage, à ce moment-là, éviter des dizaines, des centaines de morts inutiles.

La population européenne d’Algérie souffre également de l’organisation et elle vit sous la terreur. Je pourrais vous donner l’exemple suivant : il a fallu abattre plusieurs médecins pour que le reste du corps médical, notamment celui de l’hôpital Mustapha, se prête à des évasions de détenus ou de personnes inculpées.

Je pense en toute conscience que cette population européenne d’Algérie mérite de meilleurs défenseurs que ces aventuriers orgueilleux qui ont créé et dirigé l’O.A.S.

J’en ai terminé.

LE PRESIDENT. - Vous avez fait allusion à de très nombreux crimes commis pendant votre présence à Alger. Voulez-vous dire quelques mots sur l’un crime qui a été particulièrement remarqué : c’est le meurtre et l’assassinat de six membres du groupe social du Centre social d’Alger.

M. JANNIN. - Les Centres sociaux de Bel Aknoun : il s’agit là d’une organisation publique, officielle, s’intéressant à la jeunesse musulmane. Un matin, une réunion des principaux dirigeants des Centres sociaux avait été prévue, une sorte de Conseil d’administration. Au tout début de la séance, un commando est arrivé, a fait sortir un certain nombre de personnes qui figuraient sur une liste et, dans la cour, ces professeurs, ces inspecteurs de l’enseignement ont été abattus. A ce jour, à ma connaissance, nous n’avons pas retrouvé les coupables.


Pendant les trois premières années de la guerre d’Algérie, de 1954 à 1957, François Mitterrand, futur Président de la République, a joué un rôle important dans la politique répressive mise en oeuvre en Algérie par les gouvernements de la IVe République. Lorsque le conflit éclate, il est ministre de l’Intérieur et, c’est à ce titre qu’il prononce la phrase définitive  : «  L’Algérie, c’est la France.  » A partir de 1956, ministre de la Justice du cabinet Guy Mollet, refusant presque systématiquement les grâces, le futur président abolitionniste de la peine de mort fera exécuter quarante-cinq condamnés à mort



Parmi les méthodes, il en était une, secrète, inavouée, mais en réalité assez connue pour terroriser l’adversaire, « la corvée de bois ». L’armée française l’a pratiquée en notre nom à tous, au nom de la République. On a vu des unités régulières, des sections, emmener en pleine campagne un groupe de « prisonniers de guerre » ou de simples « suspects » pour effectuer une corvée de bois, et là, faire mine de leur rendre la liberté, de les laisser partir, et puis de les abattre - comme les lapins de la Règle du jeu, de Renoir - ou, dans d’autres cas de figure, de leur faire creuser leur tombe avant de les achever, ou de leur tirer dessus parce qu’« ils tentaient de fuir ».
« On demandait des volontaires pour descendre les gars qu’on avait torturés (comme ça, il ne restait pas de trace et on ne risquait pas d ’histoires) . Moi, je n’aimais pas ça. C’est vrai, vous savez : descendre un gars à 100 mètres dans le combat, ça ne me faisait rien, parce que le gars étant loin, on ne le voit pas trop. Il est armé, et puis il peut se défendre ou se barrer au besoin. Mais descendre un gars comme ça, sans défense, froidement ... non ! Alors je n’étais jamais volontaire et il est arrivé que j’étais devenu le seul dans la section qui n’avait pas descendu "son " gars. On m’appelait la "p’tite fille". Un jour, le capitaine m’a appelé en me disant : "Je n’aime pas les p’tites filles ... Prépare-toi, le prochain sera pour toi !" Alors, quelques jours après, on avait huit prisonniers qu’on a torturés, à descendre. On m’a appelé et, devant les copains, on m’a dit : "À toi, la p’tite fille ! Vas-y !" Je me suis approché du gars : il me regardait. Je vois encore ses yeux qui me regardaient ... ça me dégoûtait ... J’ai tiré ... Les copains ont descendu les autres. Après, ça me faisait moins drôle ... Ce n’est peut-être pas du boulot très propre ; mais, au fond, tous ces gars là, ce sont des criminels quand on y réfléchit. Si on les relâche, ils recommencent ; ils tuent les vieillards, les femmes, les enfants. On ne peut quand même pas les laisser faire cela ... Alors, au fond, on nettoie le pays de toute la racaille ... Et puis ces gars-là, ils veulent le communisme, alors vous comprenez ... ? »

[lettre d’un jeune soldat, rendue publique en 1958 par les prêtres-ouvriers de la Mission de France et publiée par Pierre Vidal-Naquet "la torture dans la république" 1972 maspéro éditeur -pages 137 et 138]
-



Dans un article récent, l’historien Jean-Charles Jauffret rappelle l’existence de ce bagne militaire, à mi-chemin entre Béchar et Tindouf, où furent envoyés des cas disciplinaires ainsi que des « soldats du refus » de la guerre d’Algérie.

Révélations sur une « prison sans barreaux » entre Béchar et Tindouf
Nicolas Sarkozy et une partie de la classe politique française ont beau plaider l’avenir franco-algérien, le passé n’en finit pas de se rappeler au souvenir. Périodiquement, la guerre, longtemps « sans nom », révèle un pan inconnu ou, à tout le moins inédit, des « événements d’Afrique du Nord ».

Dernière page inédite en date, un voyage poignant dans le bagne militaire de Tinfouchi au fin fond du Sud-Ouest algérien. Spécialiste des questions militaires du conflit algérien, le professeur Jean-Charles Jauffret en livre le « dossier secret » dans la dernière livraison de Guerre d’Algérie magazine.

Professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, Jean-Charles Jauffret dirige au CNRS un programme de recherches intitulé « Mémoires des combattants français de la guerre d’Algérie ». Signataire de plusieurs ouvrages, il a publié en 2005 « Ces officiers qui ont dit non à la torture », un livre coédité en Algérie sans son introduction. Une coupe synonyme aux yeux de l’auteur de censure. Rappel de contexte et récit circonstancié à l’appui, l’historien apporte une nouvelle pièce à conviction sur l’arsenal répressif de la guerre d’Algérie. A l’image des exécutions sommaires, des enlèvements et de la gestion « politique » de la chaîne de la torture, Tinfouchi fait partie des secrets les mieux gardés de la séquence algérienne.

La chape de plomb et les manœuvres dilatoires des gouvernements de la IVème et Vème République ont maintenu un voile épais sur un « enfer » qui n’osait pas dire son nom. Le lieu perce le secret militaire un an jour pour jour après le retour au pouvoir du général de Gaulle.

Le 13 mai 1959, Raymond Guyot, un sénateur communiste de la Seine - ancienne circonscription regroupant Paris et ses banlieues immédiates -, s’empare de la parole et interpelle le ministre des Armées, Pierre Guillaumat. Sa question orale résonne douloureusement sous les lambris du Palais du Luxembourg.

Sur la foi de doléances de militaires du contingent d’obédience communiste, le sénateur révèle l’existence, en plein désert, d’un bagne militaire. La sémantiquement correcte des armées le désigne sous le vocable de « compagnie disciplinaire d’Afrique du Nord ». Le site a fait l’objet à chaud (1959) d’un dossier dans La Défense, le mensuel du Secours populaire français.

Depuis, victime d’un silence pesant, Tinfouchi s’est inscrit sur la liste des « plus grands oublis de cette guerre d’Algérie qui n’en finit plus d’étonner par ses déviances en marge de la légalité républicaine », explique le professeur Jauffret. L’historien auquel on doit, entre autres, un éclairage exhaustif sur le contenu des archives militaires s’est livré à une patiente recherche sur le bagne. A défaut d’archives militaires et institutionnelles disponibles, il a interrogé des « pensionnaires » du camp et consulté des fonds privés (courriers, photos). Cette matière lui a permis de restituer « la réalité d’une prison sans barreaux », opérationnelle entre juin 1958 et juin 1962.

Installé à mi-chemin entre Béchar et Tindouf, le bagne a abrité des « soldats du refus », ces militaires de gauche qui ont refusé de prendre les armes en Algérie, et des cas disciplinaires. Enclavé dans un des endroits les plus désertiques de la planète, il était exposé aux pires fluctuations climatiques. « Une telle amplitude thermique et l’isolement total au coeur des sables brûlants garantissent contre toute tentative d’évasion ».

Dans une missive adressée à ses proches, Lucien Fontenel, un appelé encarté communiste, rappelle une histoire à faire dormir debout. Un jour, les militaires en charge des lieux invitent des « pensionnaires » à prendre connaissance, lors d’une sortie, du sort cruel promis aux évadés. Une manière de les mettre en garde contre toute tentative similaire. Selon le récit macabre de Lucien Fontenel, ils découvrent les corps de cinq à six camarades « morts de soif et grillés par le soleil » ou encore « déchiquetés par les hyènes et les chacals ».

Toute la cruauté de Tinfouchi et sa nature de bagne impitoyable sont dans ce détail du récit de Lucien Fontenel : pendant plusieurs jours, le commandement de la « compagnie disciplinaire d’Afrique du Nord » n’a fait aucune recherche, ni aucune chasse aux fuyards. En bon connaisseur des lieux, il n’avait pas le moindre doute sur l’implacable « verdict du désert ».

Preuve du secret qui entoure son existence, Tinfouchi brille par son silence dans la paperasse officielle. « Un seul document administratif y fait référence, précise le professeur Jauffret, son JMO ou Journal des marches et opérations, à présent incommunicable » aux archives militaires. Détail qui ne trompe pas, les éléments d’informations contenues dans le JMO brillent par leur rareté. L’historien a retrouvé la trace d’une lettre datée du 10 novembre 1959 et signée du ministre des Armées, Pierre Guillaumat.

Destiné au général Maurice Challe, commandant en chef des forces armées français en Algérie, le courrier ministériel assigne un rôle à Tinfouchi. « Il vous est loisible de diriger vers la compagnie spéciale d’Afrique du Nord, aussitôt intervenu l’avis du Conseil de discipline, ceux que l’intérêt supérieur de la discipline générale commande d’écarter rapidement de leur corps ».

« Dans ce bagne au milieu du néant, rappelle Jean-Charles Jauffret, la Vème République a connu ses lettres de cachet et l’embastillement arbitraire pour cinq politiques français », allusion aux soldats du refus de la guerre d’Algérie. « Saura-t-on un jour ce qu’il est advenu des disciplinaires algériens ? Dans ce Sahara des débuts de la Vème République hors de toute indiscrétion et en toute impunité, à côté des sites consacrés à l’exploitation pétrolière, aux essais nucléaires et aux armes et engins spéciaux garants de la souveraineté nationale, en référence aux sites de Tindouf et de Tinfouchi reliés par piste routière, il est à présent possible d’ajouter un pôle disciplinaire, oublié lors des Accords d’Evian et envoyé aux oubliettes de l’Histoire ».


Les méthodes du colonel Argoud
par Pierre Viansson-Ponte, Le Monde du 18 octobre 1974

Théoricien passionné de la guerre révolutionnaire, il est allé jusqu’au bout de ses raisonnements et il est devenu le prototype des « soldats perdus ». Des barricades d’Alger en 1960 au putsch des généraux de 1961, puis par le terrorisme et en exil, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour infléchir la fatalité, empêcher l’indépendance algérienne, punir les Français, assassiner de Gaulle, réécrire l’histoire.

Le colonel est sûr de lui quand il arrive en Algérie pour un premier séjour, le 1er avril 1956, avec son régiment, le 3e RCA. A ses yeux, la colonisation est un bienfait, d’ailleurs en accord avec la pensée chrétienne. Bien qu’« aucun plan d’ensemble n’ait présidé au développement de l’Algérie jusqu’en 1954 », elle a coûté à la France depuis 1830 « beaucoup plus qu’elle ne lui a rapporté ». Le colonel a « étudié la guerre révolutionnaire depuis dix ans sur le plan théorique ». Il ne perd pas de temps. A M’sila, « je mets au point mes méthodes et... je fixe mon attitude à l’égard de la population. Je m’inspire directement de l’exemple de Kemal Ataturk ».

Quelles méthodes et quelle attitude ? Voici. Les lignes téléphoniques ont été coupées par des « rebelles » ? Sanction immédiate : « Trois mechtas environnantes sont détruites au canon de 75 » après avoir été évacuées. Ce n’est qu’un début.

Une école de Melouza est sabotée ? Cinquante hommes sont réunis sur la place du village. Ils refusent de dénoncer les coupables. Bien : « Je fais alors avancer une AM [automitrailleuse] et je fais coucher les cinquante hommes à plat ventre devant l’engin blindé. Je détruis, à coups de canon, deux mechtas appartenant à des fellaghas notoires fichés par la gendarmerie. Les obus-une douzaine-passent à un mètre à peine au-dessus des têtes. L’opération terminée, je leur ordonne de se relever. Je les fais s’aligner sur un rang. Je les passe en revue et je leur fais crier "Vive la France !" ».

Une quarantaine de « rebelles » qui ont tendu une embuscade sont « accrochés » : automitrailleuses, aviation. « C’est une boucherie », note le colonel, enchanté. Il décide de ramener les cadavres à M’sila. « Je les fais empiler dans des sacs et emporter jusqu’à Melouza, où nous arrivons dans la soirée. Le lendemain, je fais charger les sacs sur l’autocar. » Les cadavres sont déposés devant l’immeuble de la commune mixte. Ils y resteront exposés pendant vingt-quatre heures. Et désormais il en sera toujours ainsi : le colonel a trouvé « sa méthode ».

Il ne cessera de la perfectionner. L’exposition des cadavres ne lui suffit pas. Là où il commande, les exécutions capitales, elles aussi, seront publiques et elles seront nombreuses : trois cents dans le secteur de l’Arba. On lit, par exemple : « 6 novembre. Le poste à essence de l’Arba brûle à 6 heures du matin. D’une rapide enquête, il ressort que l’attentat a été commis par les deux gardiens de la pompe. malgré les supplications du propriétaire, je reste inflexible. Ils sont fusillés » [1].

Ses chefs sont mécontents « du caractère public des exécutions et non point de l’exécution elle-même ». Il trouve un compromis : les exécutions auront lieu désormais en montagne, au-dessus de la cote 300, et la population des villages voisins y sera transportée par camions. « D’accord », répond le général Allard.

Mais il y a pire : la torture. Les parachutistes la pratiquent sur une grande échelle et ils ont raison. « Appuyée sur une connaissance réaliste de l’âme musulmane et sur une étude pratique de la guerre révolutionnaire, elle tend uniquement à l’efficacité. » Et suivent ces lignes monstrueuses : « Le renseignement est obtenu à n’importe quel prix. Les suspects sont torturés comme les coupables, puis éliminés si nécessaire. Pour ces combattants habitués à courir tous les risques, la vie humaine n’a aucune valeur. » [2]. Tout est dit. Quand le colonel quittera le secteur qui lui était confié, « le climat, note-t-il, a complètement changé » (on veut bien le croire !), car « j’ai la prétention d’avoir fait du bon travail ».
Pierre Viansson-Ponte

Si nous voulons empêcher le retour de cette honte, il faut la regarder en face. Il ne faut pas que les fils retrouvent un jour l’horreur sur leur chemin parce que leurs pères auront menti.

[Article publié dans le Nouvel Observateur N° 1884, du 14 décembre 2000]


Ma première rencontre avec la torture au cours de la guerre d’Algérie fut en quelque sorte pédagogique. J’étais alors élève officier à l’école militaire de Cherchell, au titre de l’instruction militaire obligatoire (IMO) qui obligeait les élèves des grandes écoles - pour moi, l’Ecole normale supérieure - à faire leur service comme aspirants officiers, puis comme sous-lieutenants. En février 1960, nous fûmes envoyés à Arzew, petite ville côtière à l’est d’Oran, pour un stage de formation à la guérilla, au tir instinctif, aux actions commando.

C’est durant un cours sur le renseignement que l’incroyable se produisit et que l’innommable fut nommé. L’officier instructeur, un capitaine dans mon souvenir, se lança tout bonnement dans une leçon sur la torture devant quelque 150 élèves officiers médusés. Il y fallait un local discret, en sous-sol de préférence, propre à étouffer les bruits. L’équipement pouvait être sommaire : un générateur de campagne couramment appelé "gégène", l’eau courante, quelques solides gourdins. Cela suffisait. Il s’adressait à des garçons intelligents, ils comprendraient...

A la sortie, des groupes se formèrent. Nous avions beau être sans illusions, c’était trop, un pas supplémentaire venait d’être franchi. Je fis partie de la délégation qui demanda à être reçue par le colonel commandant le camp. Nous lui fîmes part de notre indignation : de telles instructions étaient contraires au code militaire et à l’honneur. Je me rappelle avoir ajouté que nous envisagions une lettre au "Monde", pour faire connaître l’incident. La lettre au "Monde" était alors une arme absolue.

Le colonel nous déclara immédiatement qu’il s’agissait d’un regrettable débordement, d’une initiative personnelle de l’instructeur. Le jour même, il réunit tous les élèves pour faire une mise au point qui prit la forme d’un désaveu et même d’excuses. De telles paroles étaient en effet contraires au code militaire et ne se renouvelleraient pas. Nous restâmes sceptiques sur ce dernier point mais c’était une victoire psychologique, y compris sur ceux parmi nous qui ne réprouvaient pas le capitaine, au nom de l’éternel argument qui veut que l’on ne fasse pas d’omelette sans casser des oeufs. Les oeufs étaient des hommes et, surtout, pour quelle omelette ?

Les discussions se poursuivirent les jours suivants, notamment avec le lieutenant qui dirigeait notre section depuis Cherchell. Beaucoup d’autorité et de stature, de la culture, le visage et le corps couturés de cicatrices reçues au combat, il jouissait chez nous d’un grand prestige. Ce baroudeur, qui était aussi un chrétien convaincu, nous déclara qu’il n’avait jamais pratiqué la torture, ne la pratiquerait jamais, et que l’on pouvait faire cette guerre sans se déshonorer. J’ai plaisir à citer le nom de cet officier qui est resté mon ami, et qui devait ensuite commander les forces de l’ONU au Liban, où il fut de nouveau blessé : c’est le général Jean Salvan. Les noms des autres, je les ai oubliés.
"L’histoire montre que la torture a existé
avant le terrorisme et qu’elle est inefficace

Ma seconde rencontre avec la torture fut infiniment plus dramatique. A quelques semaines de là, je rejoignis l’unité à laquelle j’étais affecté sur un piton éloigné de tout, dans la montagne kabyle. A l’issue du repas d’accueil, au cours duquel se déroulèrent les blagues habituelles en pareille circonstance (inversion des grades entre le capitaine et son ordonnance, incidents factices, récits effrayants de la guerre), on me demanda en guise de dessert si, comme dans " les Plaideurs ", je ne voulais pas " voir donner la question ". On interrogeait une vieille femme soupçonnée d’en savoir long. Je refusai avec horreur. " Dommage, me répondit le capitaine, je pensais à vous comme officier de renseignement ! " Le soir, je rejoignis ma chambre, une soupente dans une mechta kabyle, à laquelle on accédait par une échelle. Au pied de celle-ci, il n’y avait pas d’électricité bien sûr, je trébuchai sur une masse informe. C’était, enveloppé dans des guenilles, le corps de la vieille femme que l’on avait abandonné là. Au matin, le cadavre avait disparu.

Toute ma vie, je me suis demandé si je n’aurais pas dû accepter d’assister à la séance. Peut-être la femme aurait-elle eu la vie sauve. Aux moralistes de trancher. Cette nuit-là, bouleversé, impuissant, je me fis à moi-même le serment absurde de ne jamais faire de politique. De la recherche, du syndicalisme, du journalisme, mais pas de politique ! Pour moi, c’était une évidence : les vrais auteurs de ce meurtre, ce n’étaient pas les bourreaux, c’étaient les hommes politiques qui nous avaient envoyés là, et notamment Guy Mollet et la SFIO. Depuis, j’ai eu beaucoup d’amis au Parti socialiste : il faut qu’ils sachent que jusqu’à mon dernier souffle, je ne serai jamais en paix avec leur parti ni avec François Mitterrand.

La torture, mais de façon "modérée" et contrôlée

Mon troisième contact avec la torture fut moins désespérant. A quelques mois de là, je fus envoyé, toujours en Kabylie mais sur la côte, dans une autre unité où je fus chargé de l’encadrement de chefs de villages ralliés. On était à l’automne 1960 et, à la suite de l’opération "Jumelles", la Kabylie était beaucoup plus calme. On ne dira jamais assez que dans la révolte d’une partie des officiers contre de Gaulle, l’année suivante, il y avait le sentiment qu’on leur avait volé leur victoire après leur avoir fait pratiquer une guerre sale et compromettre des milliers de harkis qui le paierait de leur vie. Eux aussi allaient connaître la torture.

A l’automne de 1960, il y avait quelques combats, quelques prisonniers aussi. Le commandant P. qui commandait l’unité où je venais d’être détaché, était un ancien déporté de Dachau, où il avait connu Edmond Michelet, auquel il vouait un véritable culte. Cela ne l’empêchait pas de faire ou de laisser pratiquer la torture mais de façon "modérée" et contrôlée. Nous en avons parlé des soirées entières, entre deux parties de tarot dont il était, autant que moi, un passionné. Un soir où nous avions fait deux prisonniers, je lui demandai : "Naturellement, vous allez les interroger ? - Il le faut bien... - Croyez-vous qu’Edmond Michelet approuverait cela ?" Le commandant P. ne me répondit pas mais changea de visage. Le lendemain, comme je le croisai au mess, il me jeta négligemment "Vous savez, vos deux fellaghas, on ne leur a rien fait". Ce fut à mon tour de ne pas répondre. Je n’ai jamais revu le commandant P., mais je sus que c’était un homme honnête et si, par hasard, il tombe sur ces lignes et s’y reconnaît, qu’il y trouve aussi mes amitiés.

Edmond Michelet est mort en 1970. Après avoir sauvé tant de vies à Dachau, il en avait sauvé encore comme garde des Sceaux sous de Gaulle. Jean-Marie Domenach écrivit alors que Michelet était un saint laïque et qu’il fallait le canoniser. Puisqu’il faut, dit-on, pour cela trois miracles, je lui dis que j’en avais au moins un à sa disposition...

Tant de choses qu’il faudrait maintenant dire ou raconter

La vie, alors, tenait à peu de chose et à de grands hasards. Dans cette même unité, quelque temps avant mon arrivée, s’était déroulée la scène suivante. Le commandant fait venir un sergent et lui dit : "Prenez huit hommes avec vous et descendez le prisonnier à la ferme B" (c’était la base arrière de l’unité).

Le sergent salue réglementairement et s’en va. Puis revient sur ses pas. "Mon commandant, non, décidément je ne veux pas faire ce sale boulot. - Quel sale boulot ? - Eh bien "descendre" un prisonnier ! Vous n’avez pas le droit de me demander cela ! - Imbécile ! Je ne t’ai pas dit de le descendre tout court, mais de le descendre à la ferme !"

Celui-là faillit mourir à cause d’un jeu de mots. Si j’étais romancier, j’en aurais fait une nouvelle dans le goût du "Mur" de Sartre. Cela prouve en tout cas que la liquidation des prisonniers, la fameuse "corvée de bois", était chose assez banale et assez courante pour expliquer la méprise du sergent.

Je n’accable pas, on le voit, les militaires, fussent-ils à l’occasion des tortionnaires. Tous n’étaient pas des barbares. Loin de là. J’ai passé des nuits à discuter avec des officiers paras, ou des légionnaires. Ils ne me traitaient pas de "gonzesse" ou de "pédé" parce que je leur disais réprouver absolument la torture. Beaucoup disaient me comprendre.

Je ne fais pas le malin. Je ne cherche pas à me donner le beau rôle, loin de là. Tout cela n’est pas brillant et, comme tous mes camarades, j’ai pendant quarante ans enfoui mes souvenirs. La torture a ceci de commun avec le viol qu’elle donne un sentiment de salissure à ceux qui la subissent ou même à ceux qui la combattent presque autant qu’à ceux qui la pratiquent.

Tant de choses qu’il faudrait maintenant dire ou raconter. Les crimes des nationalistes algériens contre les "colons", contre les Algériens eux-mêmes, contre les harkis. Ces crimes qui continueront, comme on le voit aujourd’hui en Algérie, aussi longtemps que le pouvoir algérien ne les aura pas reconnus. Cela ne suffira peut être pas, mais aussi longtemps que l’Algérie ne regardera pas en face ses propres crimes, elle ne connaîtra pas la paix.

Dire la vérité, la vérité politique sur la torture

Je reviens aux crimes de l’armée française, ceux que nous avons commis. Directement ou indirectement, ils sont l’oeuvre du pouvoir politique. La preuve, c’est que le contingent ne se révolta jamais contre la torture - elle faisait partie à leurs yeux du mandat implicite et inavouable de la nation - mais qu’il se leva comme un seul homme contre le putsch des généraux, en 1961. Quand je demandais aux appelés pourquoi cette différence de comportement, tous me répondaient : dans le premier cas, on nous fait faire un sale boulot, c’est tout. Dans le second, on veut nous couper de la nation, de nos parents, de nos amis, de nos fiancées...

Voilà pourquoi je ne demande pas le jugement des militaires, même les plus compromis. Mais je demande fermement et sans hésitation que le pouvoir politique reconnaisse solennellement que c’est la France qui est responsable, que c’est elle qui a torturé en Algérie. L’histoire, dit Renan à propos de la mort de Jésus, a oublié le nom des bourreaux mais elle a retenu celui du magistrat responsable. C’est de Ponce Pilate qu’il s’agissait alors. Ici, du pouvoir politique.

Mon seul souci dans cette affaire est de comprendre comment un peuple civilisé peut retomber dans la barbarie. Si nous voulons empêcher le retour de cette honte, il faut la regarder en face. Dire la vérité, la vérité politique sur la torture. Nous ne voulons pas que les fils retrouvent l’horreur sur leur chemin et la honte au fond de leur coeur, tout cela parce que leurs pères ont menti.
Jacques Julliard


Ils étaient responsables de l’OAS à Oran,Les crimes de « Tassou » le grec et « Benichou » l’israélien aux derniers instants de la colonisation

La colonisation en Algérie a pris fin comme elle avait commencé par des massacres et la spoliation, ont à jamais terni l’honneur de la France par la main de ses généraux, comme Bugeaud, Saint Arnaud, Cavignac durant la colonisation, et les assassins de l’OAS à Oran à la veille de l’indépendance, à savoir « Tassou » le grec, « Pancho » le gitan, et « papa Benichou » l’israélien.

L’assassinat de 15« femmes de ménage » algérienne le 11 mai 1962 a représenté le summum de la sauvagerie du « commando » de l’organisation de l’armée secrète « OAS » et s’inscrivait dans la politique de la terre brulée pour imposer la politique de « l’Algérie française » par des attentats, des braquages de banques et l’assassinat de 410 algériens et 487 blessés du 19 mars date du cessez-le-feu jusqu’à début juillet 1962. L’image de la main de la petite Khadidja Djiari dans celle de son père Abdelkader qui avait été retrouvée parmi les restes de victimes de l’attentat de la place « Tahtaha » à Oran le 28 février 1962 est restée dans la mémoire de ceux qui ont vécu cette période sanglante, dont l’auteur n’était autre que l’OAS, avec ses assassins, comme le juif « Papa Benichou », le gitan « Pancho », « Athanase » le grec propriétaire du café « Café Rich » (Timgad actuellement), Micehlet et d’autres, qui ont constitué « le syndicat du crime » comme l’a appelé Jean-François Gavoury. Ironie du sort le sanguinaire Athanase Georgopoulos « Tassou » lui-même se retrouve membre du comité d’indemnisation en tant que représentant des exilés ou activistes de l’OAS sur la base d’un décret signé par Jean-Pierre Raffarin en vertu de l’article 13 de la loi du 23 février 2005 glorifiant la colonisation française. « Tassou » est pour rappel le fondateur de la troisième région de l’OAS à Oran et avait reçu le général Edmond Jouhaud lorsqu’il avait fui à Oran. Les brigades de la mort ont mis toutes leurs forces dans « la bataille d’Oran » pour préserver la région ouest sous l’étendard de « l’Algérie française » avec Oran pour capitale. Ce qui explique a poursuite par l’organisation des ses opérations criminelles malgré les accords du 18 mars entre les représentants du FLN et Jean-Jacques Susini un des dirigeants de « l’OAS » prévoyant un cessez-le-feu et l’arrestation du général « Jouhaud » et son adjoint « Camelin » le 20 mars à Oran par le général « Joseph Katz ». Ce dernier a reconnu dans son livre « honneur d’un général » qu’ « il cachait le bilan réel des victimes de l’OAS à Oran après les accords d’Evian de peur d’une violation du cessez-le-feu ». Mais lors du jugement du général Jouhaud le 12 avril 1962 le général a « Ortiz » dans son témoignage sur les crimes de l’organisation et a parlé de l’existence de « 1190 attentats, 109 attaques armées qui ont fait 137 morts dont les 15 femmes de ménage, par arme à feu et arme blanche et 385 blessés ». les services de police ont de leur coté enregistré durant la période s’étendant du 19 mars date du cessez-le-feu à début juillet 1962 : « 66 assassinats parmi les habitants européens dont des officiers de l’armée et 36 blessés, et 410 morts et 487 blessés parmi les algériens ».

Il y a 46 ans, l’attentat du port d’Alger

El Watan, 5 mai 2008

L’Algérie a commémoré, ce 2 mai, le quarante-sixième anniversaire de l’attentat perpétré contre les dockers du port d’Alger.

Le bilan est des plus lourds : soixante-trois chouhada et cent-dix blessés graves. Les victimes n’étaient pas tombées sous les balles de l’armée française, mais suite à un attentat à la voiture piégée. C’était la réponse de l’OAS aux Accords d’Evian, signés le 18 mars 1962. Le 19 mars 1962 ne marque donc pas la fin de la guerre. Une autre guerre allait se poursuivre. « Le cessez-le-feu n’est pas la paix. Le danger est grand et les hordes fascistes et racistes de l’OAS, désespérant de maintenir ‘’l’Algérie française’’, vont tenter d’ensanglanter encore le pays… » Lourde de sens, cette citation est extraite de l’appel lancé le 19 mars 1962 par le président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, Benyoucef Ben Khedda. Parmi les grands problèmes auxquels est confronté le G.P.R.A., réuni au grand complet à Rabat le 21 mars, celui de l’OAS. La rébellion des généraux Salan, Challe, Jouhaud et Zeller le 26 avril 1961 contre le général de Gaulle, président de la République française, qu’ils accusent de vouloir brader « l’Algérie française », complique davantage les choses pour la partie algérienne. Forte de l’appui que vient de lui apporter le « quarteron des généraux factieux », l’OAS, constituée début mars 1961 à partir de Madrid, autour de Pierre Lagaillarde, se sent pousser des ailes. Elle se présente comme la troisième force entre les gaullistes et le FLN. Heureusement pour le GPRA. cette question sera réglée au plus vite par le général de Gaulle qui voyait là une menace pour la France. En perte de vitesse, voyant que leur « Algérie française » était bien morte, saisis de folie meurtrière les ultras, regroupés autour de l’OAS, tentent le tout pour le tout. Dans « un tract explicatif », les chefs OAS ordonnent à leurs commandos « de mettre les grandes villes à feu et à sang, tout détruire, tout incendier ». Ils ont en mémoire Verdun, entièrement détruite pendant la Première Guerre Mondiale et Stalingrad, rasée au cours des rudes combats qui opposèrent l’Armée rouge aux troupes allemandes. Le mois de mars connaît une recrudescence des attentas à Alger. Dans la seule « nuit bleue » du 4 au 5 mars, 130 explosions ont retenti dans Alger qui retient son souffle. Les instructions des chefs de l’OAS, particulièrement celles de Raoul Salan, visent « à empêcher la réalisation pratique des accords conclus entre de Gaulle et le FLN » par la création de zones insurrectionnelles"… en ouvrant le feu systématiquement sur les unités de gendarmerie mobile et les CRS, en abattant « les personnalités intellectuelles algériennes (professions libérales) et notamment les médecins, dentistes et pharmaciens… ». Le 19 mars, le général Salan condamne dans une « émission pirate » de l’OAS le cessez-le-feu. Alger, Oran, Sidi Bel Abbès, Mostaganem, Tlemcen, Constantine, Annaba, Skikda… vivent à l’heure de l’OAS. Les manifestations des « casseroles » et concerts de klaxons « trois brèves et deux longues » (Al-gé-rie fran-çaise) rythment l’avant et l’immédiat cessez-le-feu. Les commandos Delta, commandés par le lieutenant Degueldre, sèment la mort. Les 611 attentats commis pour le seul mois de mars font 110 chahids, dont Mouloud Feraoun, Ali Hamouten, Salah Ould Aoudia mais aussi trois pieds-noirs Max Marchand, Robert Eymard et Marcel Basset, tous engagés intellectuellement au service de l’Algérie indépendante. Le mois suivant, 647 attentats font 230 chahids. Les attentats culminent au mois de mai avec 1728 attentats pour 350 chahids. Les chefs OAS décrètent, le 18 mars, un « deuil national et une grève de deux jours dans toute l’Algérie ». Une vaste campagne de désinformation est menée tambour battant. L’objectif : provoquer l’apocalypse en cultivant la culture de la peur. Les quotidiens algérois, Le Journal d’Alger et La Dépêche Quotidienne déforment à souhait les clauses des Accords d’Evian. Ces deux titres consacrent de longs articles à « l’abandon complet (par de Gaulle) de la minorité européenne livrée aux tueurs du FLN ». « Placés devant le fait accompli du cessez-le-feu, isolés, sans soutien extérieur, les nervis de l’OAS pratiquaient, en désespoir de cause, la politique de la terre brûlée. Pour mieux contrecarrer les Accords d’Evian, signés à leur insu, ils cherchèrent à bloquer la voie du passage à l’indépendance. Poussés par la haine, ces groupes fascistes fanatisés eurent encore le courage misérable de se lancer aveuglément contre une population désarmée ». C’est dans ce climat de tension extrême d’une part, de désespoir pour l’OAS d’autre part, que le 2 mai, une voiture stationnée à proximité du port explose, là où comme à l’accoutumée s’étaient agglutinés devant le bureau d’embauche des dockers algériens dans l’espoir d’être recrutés pour une journée de dur labeur. Il était 6 heures du matin, ils étaient « près d’un millier avec femmes et enfants », le fourgon piégé était bourré de clous, de boulons, de ferraille. « Une véritable boucherie », soixante-trois morts (63) et cent-dix (110) blessés graves dont certains ne survivront pas à leurs blessures. « Quelques heures plus tard, Belcourt, Climat de France et le quartier musulman d’Oran furent soumis à un intense tir au mortier. Les équipes spéciales des Delta, note Yves Courrière dans Les Feux du Désespoir, s’en donnèrent à cœur joie. Ce jour-là, les attentats de l’OAS firent cent dix tués et cent quarante-sept blessés ». Comme la tribu des Nekmaria décimée en 1865 par la mise en œuvre d’une nouvelle arme, l’enfumage, les « dewkras » d’Alger, chômeurs de toujours, seront à leur tour décimés, emportés par une arme jamais expérimentée auparavent en Algérie, la voiture piégée. La fumée mortelle des grottes de Nekmaria annonce à un siècle d’intervalle les chambres à gaz dans l’Allemagne nazie, quant aux voitures piégées, elles continuent de semer la désolation parmi les populations civiles, cibles en 1961-1962 de l’OAS. Une autre invention à mettre à l’actif des héritiers de Bugeaud, Cavaignac, Lamoricière, Montagnac, Saint Arnaud, Pélissier et autres criminels de guerre. L’attentat du port d’Alger est qualifié d’ « horrible » par le cardinal Duval, archevêque d’Alger depuis 1954. Celui qui a dénoncé la torture deux mois après le déc lenchement de la lutte de Libération nationale, qui a appelé à l’autodétermination en 1956 rapporte qu’ « une agitation extrême régnait dans les rues (d’Alger) ». Toute la population était traumatisée ». Se portant au devant des blessés, il organise avec les Algériens les premiers secours. Il dirige les Filles de la Charité vers les « cliniques clandestines qui étaient établies dans La Casbah » pour prêter main forte aux autres infirmiers et médecins. Nous sommes informés par le cardinal que celui-ci intervient pour que « les blessés les plus graves soient admis à la clinique de Verdun qui était sous l’autorité des Français. Comme cette clinique n’avait pas les moyens de soigner ceux des blessés qui étaient les plus dangereusement atteints, il a fallu intervenir pour que ceux-ci soient admis à la clinique Barbier Hugo, qui dépendait de l’autorité française ». Les militaires français, dont dépendait cette clinique, firent preuve de compréhension et les contacts avec les responsables du FLN ont été « très faciles ». à partir de ce moment que les contacts entre le cardinal et les responsables FLN du quartier se développèrent. Non contente d’avoir provoqué la mort de soixante-trois victimes, l’organisation Delta s’apprête le 3 mai à commettre un attentat encore bien plus sanglant, bien plus barbare. Un camion citerne contenant 16 000 litres d’essence a été lancé, direction bloquée, des hauteurs de La Casbah sur le quartier le plus populeux d’Alger. « Brûler le principal nid où se cachent les rats du FLN » , tel était l’objectif de cette opération qui n’est pas sans nous rappeler dans sa formulation comme dans l’intention de ses concepteurs, les déclarations d’un général américain. Lui aussi, il avait assimilé les résistants de Felloudja à des rats. Le camion de la mort est arrêté à temps par des pompiers et La Casbah ne brûla pas. Témoins vivants d’une histoire héroïque, les « dewkra » puis après eux les « Fatma », ces malheureuses femmes de ménage au nombre de sept, assassinées par les commandos Delta, le 10 mai, d’une balle dans la nuque, alors qu’elles se rendaient chez leurs employeurs européens, ne doivent pas mourir une seconde fois. Les chouhada de ce mois de mai 1962 sont la conscience de l’autre Algérie, celle des hommes, des femmes et des enfants qui ont bravé, les mains nues, le ventre creux mais le courage plein le cœur et le regard plein d’espoir, les commandos Delta, dignes héritiers des nazis aujourd’hui glorifiés, magnifiés par une droite française revancharde et un pouvoir que rien ne distingue de l’extrême droite raciste ; un pouvoir qui défie l’histoire de France et d’Algérie en perpétuant la mémoire des semeurs de la mort, de ceux qui avaient projeté d’occuper Paris et monter le coup du Petit Clamart contre le père de la Ve. République. Le monument à la gloire des « dewkra » à l’entrée du port d’Alger est une bonne chose, il mérite d’être mieux mis en valeur. Une simple note d’histoire au bas de ce monument à mettre sur un socle plus massif suffirait à rendre la parole à ces chouahada « dewkra », morts pour l’Algérie. Les lieux de mémoire appellent de la part des concernés un plus grand intérêt, car ils matérialisent une histoire trop abstraite qui n’accroche pas. Pourquoi ne pas penser à l’occasion de la prochaine commémoration du 1er Novembre à retranscrire sur une stèle géante, en lettres dorées la proclamation du 1er Novembre ?! La réconciliation de la jeunesse avec l’histoire de son pays passe par des gestes simples, faciles à décrypter qui s’incrustent d’eux-mêmes dans une mémoire à réhabiliter.

Mohammed El Korso

Photo de mogwaii
mogwaii (clôturé) il y a 12 ans

Photo de jim555
jim555 (clôturé) il y a 12 ans

trouve-toi des chiottes turcs,ça va t'aider à réfléchir.


Participants