jim555 (clôturé)
il y a 12 ans
«En saluant aujourd’hui la mémoire de Jules Ferry qui fut un grand ministre de l’Instruction publique, je n’ignore rien de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une erreur morale et politique. Elle doit à ce titre être condamnée.»
François Hollande (Hommage à Jules Ferry, 15 mai 2012)
Professeur Chems Eddine Chitour
Jeudi 17 Mai 2012
Dans cette troisième partie concernant la colonisation de l’Algérie, dans ce XIXe siècle des tous les dangers, nous allons traiter du moteur des aventures coloniales, à savoir la certitude d’appartenir à la bonne race et partant à la bonne religion. Cela rejoint quelque part, «la Destinée manifeste» américaine et le «Fardeau de l’homme blanc» de Rudyard Kipling, chantre d’une colonisation sans état d’âme puisqu’il s’agissait, somme toute, d’apporter la lumière du «siècle des Lumières», à ces peuplades encore plongées dans la nuit de l’intellect…
Hasard de l’actualité, il nous est donné de traiter de cela en convoquant Jules Ferry. Par les phrases citées plus haut, François Hollande, le nouveau président français, tranche avec une vision occidentalo-centriste quant à la supériorité des races au-dessus des lois quand il s’agit de la morale pour les autres. Ceux, justement que Jules Ferry prend pour quantité négligeable Le 29 juillet 1885, il prononce ces mots: «Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.» Georges Clemenceau sera amené à répondre à Jules Ferry: «Races supérieures! Races inférieures! C’est bientôt dit! Pour ma part, j’en rabats régulièrement, depuis que j’ai vu, des savants allemands démontrer scientifiquement, que la France devrait être vaincue, dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d’une race inférieure à l’Allemand». (1)
A sa décharge, Jules Ferry, pourtant colonialiste enragé, déplore en termes vifs la façon de faire du pouvoir colonial à Alger qui ne veut pas d’école pour les indigènes. Il condamne «l’état d’esprit du colon vis-à-vis du peuple vaincu», il ajoute: «Il est difficile de faire entendre au colon européen qu’il existe d’autres droits que les siens en pays arabe et que l’Indigène n’est pas une race taillable et corvéable à merci.» La politique de bras de fer des colons bloque alors toute velléité de développement de l’instruction.
Le mythe des races supérieures
Tant d’études en ident, il faut le regretter, cherchent davantage à culpabiliser l’Autre, l’allogène, ce bouc émissaire, «ce pelé, ce galeux d’où viennent tous nos maux», qu’à analyser objectivement les faits. Le postulat de départ est que l&rsquocident chrétien se veut être, à tort, le seul producteur de sens et de normes. La colonisation européenne en général et française, en particulier, furent ambivalentes, alliant l’arbitraire le plus absolu concernant les peuples asservis à des avancées significatives en démocratie pour les citoyens européens. «Comme l’écrit à juste titre, l’historien Marc Ferro, Les génocides, on ne les connaîtra jamais assez. Ils ne sont pas seulement ceux de l’horreur, mais aussi ceux de la honte, car il révèle combien furent peu nombreux ceux qui se dressèrent contre ces massacres collectifs, qu’il s’agisse au sens propre de génocides – une définition qu’affine Jacques Semelin – ou d’assassinats massifs plus ou moins spontanés». (2)
L’entreprise nazie a une paternité séculaire et le nazisme est le résultat d’une filiation et non d’une rupture. L&rsquocident monopolisant la norme en termes de valeurs, est à la base de la plus grande transhumance et des plus grands massacres qui ont touché pratiquement tous les peuples du Sud. Au palmarès de l’horreur, ce sont des pays où la démocratie «in situ» et à l’usage des citoyens de souche est ancrée qui sont les premiers à être montrés du doigt. Ainsi, c’est la vertueuse démocratie américaine qui a mené avec constance le massacre des Indiens jusqu’aux débuts du XXe siècle. C’est la patrie de l’Habeas Corpus qui a fait des techniques de dépersonnalisation une science exacte. Nous l’avons dit, l’histoire de l’impérialisme occidental s’étale sur les cinq derniers siècles. Et elle n’épargne aucun continent. De fait, lors de la conquête du Nouveau monde décrétée par la vulgate occidentale comme ayant débuté avec Christophe Colomb, on s’aperçoit que les «Indiens» n’étaient pas des sauvages qu’ils ont accueillis dignement avec respect, voire adoration ces Hommes qui viennent au-delà des mers. On sait comment, ils furent massacrés ou réduits en esclavage au nom du Christ et de l’appât de l’or. La première église fut construite en 1494 à San Salvador occupé au nom du roi Ferdinand d’Aragon et d’Isabelle de Castille. Cette dernière «sponsorisa» sur ses propres deniers, la Reconquista envers Oran et Mers El Kebir sous les conseils du cardinal Cisneiros en 1509.
Sont-ils seulement des hommes, ces Indiens nus? Des «disputations» opposèrent Bartolomeo Las Casas, un prêtre dominicain reconnaissant l’humanité des Indiens, à ceux qui veulent les considérer comme des êtres non-humains, «des esclaves par nature» ce fut La controverse de Valladolid (1550). Bien plus tard, au début du XXe siècle, les savants anglais étaient tiraillés par la même question; les Aborigènes d’Australie doivent-ils être classés dans la catégorie des animaux ou des hommes?
«La cupidité et la soif de l’or, écrit Catherine Coquery-Vidrovitch, des Européens les dispensent désormais de toute bienveillance. De ce vaste panorama, de tous les impérialismes coloniaux (français, anglais, espagnol, néerlandais, japonais donc, mais aussi russe au Caucase, arabe à Zanzibar), il ressort comme une évidence que ce sont bien les attitudes racistes des colonisateurs qui ont constitué l’un des principaux «traits structuraux» du colonialisme. Seul le postulat de la supériorité blanche et de l’infériorité noire est, ici, longuement analysé» (3)
Qu’on le veuille ou non le christianisme a sous-tendu la légitimation de la colonisation. Comme conséquence de l’impunité et de leur bon droit moral adoubé par l’Eglise, les colonisateurs ont rendu les hommes en esclavage pour en faire une matière, le fameux «menschmaterial» qui sera repris dans l’idéologie du IIIe Reich, enfin suprême humiliation, pour les colonisés, il faut distraire les Blancs en leur présentant de l’exotisme des colonies, ce sera la face la plus abjecte, celle qui consiste à animaliser l’individu dans les «zoos humains», c’est le fameux «langage zoologique» dont parle si bien Frantz Fanon. Nous avons tous étudié ces philosophes aux belles pensées percutantes, fidèles à leurs pensées, à leurs phrasés. Pourtant Montesquieu qui complexe, il met en avant le lien entre la fatalité de l’asservissement de la population se situant dans des climats secs, a contrario de la population des climats tempérés qui sont bien plus développé intellectuellement.
A cette époque déjà, ces «philosophes» théorisent l’impérialisme du christianisme et de la domination des peuples sur d’autres. En effet, nous retrouvons des textes sacrés de la Bible légitimant l’esclavage auxquels hommes d’église et érudits de philosophie se réfèrent. L’humanisme occidental s’appuie sur des passages de la Bible (Levitique XXV 44 – 66) justifiant la domination de l’homme chrétien sur des populations. suet, par une rhétorique alambiquée, se fait le confident de Dieu; il écrit: «Condamner un Etat qui pratique l’esclavage, ce serait condamner le Saint-Esprit qui ordonne aux esclaves par la bouche de Saint-Paul de demeurer dans leur état, et n’oblige point les maîtres à les affranchir!»
Buffon propose une hiérarchisation des races. Pour lui, les Noirs au bas de l’échelle des hommes, sont la reproduction des orangs-outans. Diderot n’avait aucun scrupule à engager des investissements dans les campagnes négrières tout en pleurant leur triste sort. Il héritait ainsi d’énormes bénéfices. Pour Catherine Coquery-Vidrovitch, «paradoxalement, le siècle des Lumières fut aussi celui où l’infériorité du Noir fut poussée à son paroxysme» écrit-elle. Voltaire, par exemple, n’échappe pas aux préjugés racistes. (3)
Voltaire participe, aussi, à la bestialisation du Noir: «Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses. Lisons ce que disent les autres écrivains tel qu’Hegel: «L’homme en Afrique noire, vit dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l’empêche encore de faire partie intégrante de la civilisation…»
Qu’en est-il de l’application de ces concepts en Algérie? La collusion intellectuelle
En concurrence les uns avec les autres, les gouvernements européens se lancent dans la «course au drapeau». Naturellement, on trouve eu haut de l’échelle, la race blanche chrétienne qui se découvre, les invasions coloniales aidant, un devoir, voire comme l’écrit Rudyard Kipling, «The white man burden», «le fardeau de l’homme blanc».
Gérard de Nerval, le poète des Fleurs du Feu, quant à lui, compare l’Arabe à un «chien qui mord si l’on recule, ou qui vient lécher la main levée sur lui». Quand Tocqueville connu pour son livre «De la Démocratie en Amérique,» n’a aucun état d’âme s’agissant des barbares: «J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. (…) Quoi qu’il en soit, on peut dire d’une manière générale que toutes les libertés politiques doivent être suspendues en Algérie.»
Pour Lamartine, il faut conserver l’Algérie: «Remettre les rivages et les villes de l’Afrique à des princes arabes, ce serait confier la civilisation à la barbarie, la mer à la garde de ses pirates, nos colons à la protection et à l’humanité de leurs bourreaux.(…) Abdiquerons-nous volontairement enfin cependant que la conquête d’Alger nous a donné sur le mahométisme dans tout l’Orient, et que nous perdrions le jour même où le drapeau français s’abaisserait sur le rivage d’Afrique? Non, Messieurs, ce serait renier notre mission et notre gloire; ce serait trahir la Providence qui nous a fait ses instruments dans la conquête la plus juste.» (4)
Pour Victor Hugo, «la colonisation militaire, c’est une muraille vivante. Quel meilleur obstacle continu qu’un camp français? Mettez le soldat en avant du colon comme vous mettez un fer au bout d’une lance.» (5) Avec Bugeaud, Hugo plaide nettement en faveur de la colonisation: «Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Dans un discours le 18 mai 1879, Victor Hugo dénie à l’Afrique une identité: «Quelle terre que cette Afrique! L’Asie a son histoire, l’Australie elle-même a son histoire qui date du commencement dans la mémoire humaine: L’Afrique n’a pas d’histoire.» (5)
Allant plus loin et sans état d’âme, Hugo rapporte d’une façon neutre les faits d’armes et les tableaux de chasse d’une armée qui se fait «tigre». Il écrit: «Le général Leflô me disait, hier, 16 octobre 1852: «Dans les prises d’assaut, dans les razzias, il n’était pas rare de voir les soldats jeter par les fenêtres des enfants que d’autres soldats en bas recevaient sur la pointe de leurs baïonnettes. Ils arrachaient les boucles d’oreille aux femmes et les oreilles avec, ils leurs coupaient les doigts des pieds et des mains pour leur prendre leurs anneaux»». Victor Hugo (Choses vues).
Quand Zola devint célèbre avec son «J’accuse» à propos de la défense du capitaine Dreyfus, des Algériens étaient massacrés par milliers. Lui et tant d’autres sont sourds, voire ne se sentent pas concernés par le drame algérien, au contraire, ils cautionnent par leurs écrits ou leurs mutismes les pires exactions. Pour Jean Jaurès, maître à penser de la Gauche en France: «Là où la France est établie, on l’aime, que là où elle n’a fait que passer, on la regrette; que partout où sa lumière resplendit, elle est bienfaisante; que là où elle ne brille plus, elle a laissé derrière elle un long et doux crépuscule où les regards et les coeurs restent attachés.» Nous n’avons pas trouvé de prise de position pour le droit et la dignité humaine.
Voilà donc des Français et d’autres Européens qui ont pour la plupart, une vie difficile derrière eux, installés en Algérie, au nom du droit du plus fort, et protégés par une armée conquérante, venue civiliser des barbares. Le peuple algérien vaincu a vu sa société se disloquer et soumise au régime du «talon de fer» Cette annexion brutale et injuste a fait dire à Anatole France: «La France a, pendant 70 ans, dépouillé, chassé, traqué les Arabes, pour peupler l’Algérie d’Italiens et d’Espagnols.»
A titre d’exemple, les biens Habous ne furent pas épargnés; il y avait, nous dit A. Devoulx, plus de 1300 immeubles appartenant aux fondations pieuses, une série de textes permet à l’administration de les annexer. Le 28 juin 1881, ce fut la mise en place du Code infâmant de l’indigénat avec 41 infractions, dont est justiciable l’indigène, ce fut une véritable justice d’exception. «La Société algérienne, écrit Abdelkader Djeghloul, appauvrie et laminée par les guerres qu’elle a eu à supporter les amendes,les épidémies, les exactions de tout ordre, est sortie profondément fragilisée par la destruction de ses cadres de sociabilité.(6)
La politique du talon de fer. M. Lacheraf cite les propos tenus par le colonel Charles Richard, chef du bureau arabe d’Orléansville en 1845: «Il nous faut d’abord mettre ce peuple sous nos pieds, pour qu’il sente bien notre poids, mais diminuer ensuite peu à peu la pression, et lui permettre enfin, après des siècles, de se dresser à notre hauteur et de marcher avec nous sur la grande voie du progrès humain.» (7)
Si on ajoute à la politique aussi de la terre brûlée responsable des famines et des maladies, la population algérienne perdit plus d’un million de personnes cinquante ans après l’invasion. C’est donc un miracle que les Algériens n’aient pas disparu! Non ! Assurément non ! La colonisation ne fut pas une œuvre positive pour les indigènes algériens.