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il y a 8 ans
Les pachydermes voient des éléphants roses
Les animaux s’enivrent intentionnellement pour apaiser leurs souffrances ou le stress de leur vie quotidienne, exactement comme le font les humains affectés d’éthylisme ou de toxicomanie : telle est la thèse du psychologue Ronald K. Siegel, qui enseigne à l’université de Californie.
Sous sa direction, une équipe de chercheurs a parcouru le monde en long et en large, de l’Afrique à l’Amérique du Sud, de l’Asie tropicale à l’O cé anie, pour étudier directement ce phénomène dans l’écosystème des animaux sauvages. Il est parvenu à décrire 2 000 cas d’animaux - mammifères, oiseaux, reptiles et même insectes - pris dans les vapeurs de l’alcool ou sous l’effet de la drogue (haschich des efflorescences du chanvre indien, opium des fruits du pavot, cocaïne de la coca, etc).
Les chercheurs se sont intéressés en particulier à l’éléphant, dont le goût pour l’alcool est connu depuis fort longtemps. On raconte de nombreuses histoires à propos de troupeaux entiers faisant bombance dans des dépôts de céréales et se livrant à des orgies de fruits fermentés. Rendus furieux par l’alcool produit par la fermentation spontanée de fruits ou de grains, ils déferlent sur les villages, démolissant tout sur leur passage.
Un éléphant ivre se reconnaît au premier coup d’oeil. Il ressent une forte brûlure mais ne transpire pas : ces pachydermes n’ont pas de glandes sudoripares. Il agite donc frénétiquement les oreilles pour s’éventer, bat la queue comme s’il voulait chasser des insectes gênants, enroule puis secoue violemment sa trompe et barrit comme un beau diable.
Quand ils sont complètement saouls, ce qui arrive lorsqu’ils avalent des quantités insensées de fruits fermentés, ces colosses de cinq tonnes (sept pour l’espèce africaine) vacillent comme un homme ivre, plient les genoux et se laissent tomber au sol.
Pour mesurer la concentration d’alcool que peut supporter un pachyderme, l’équipe de Siegel s’est livrée à une série d’expériences dans les réserves californiennes. Les animaux avaient à leur disposition des alcools à des degrés de concentration divers contenus dans des récipients calibrés, que l’éléphant - faut-il le rappeler ? - aspire avec sa trompe, laquelle fonctionne exactement comme la pipette des chimistes.
Ces expériences ont permis de constater que c’est à une concentration de sept degrés par litre que les pachydermes apprécient le mieux l’alcool - exactement la même proportion qu’ils peuvent trouver dans les fruits fermentés.
Saoul, l’éléphant perd sa sociabilité naturelle. Alors qu’il passe le plus clair de son temps parmi ses congénères quand il est sobre, il préfère rester à l’écart quand il est ivre.
Le chercheur américain défend l’idée que les animaux (pas seulement les éléphants) s’enivrent ou se droguent à dessein, pour oublier les tourments de leur existence. Pour le démontrer, il a fait vivre pendant un mois les éléphants d’une réserve californienne sur un territoire volontairement restreint. Le stress de la surpopulation dans un espace limité a poussé ces animaux à boire trois fois plus que d’habitude.
Noyaient-ils leur déprime et leur malaise dans l’alcool ? Ce n’est pas exclu. Ils devenaient si agressifs qu’il était dangereux de les approcher. Des comportements similaires peuvent sans doute être observés dans les quelques régions du globe où la population d’éléphants est actuellement très dense et où la compétition pour se procurer de la nourriture est rude.
Indubitablement, les cas d’intoxication parmi les éléphants africains ont augmenté ces dernières années parallèlement à l’aggravation de la sécheresse et à l’intensification du déboisement - avec la dégradation, en somme, de leur milieu écologique.
http://www.courrierinternational.com/article/1998/10/29/les-pachydermes-voient-des-elephants-roses
Modifié il y a 8 ans, le samedi 20 février 2016 à 15:55