De lui on sait peu. A-t-il vraiment existé ? demandent encore quelques sceptiques. Le débat continue à faire rage et il ne se passe pas une décennie sans qu'un nouveau nom surgisse qui prouverait enfin l'identité du « vrai » Shakespeare. À Stratford-upon-Avon, sa ville natale, personne ne doute que le fils d'un gantier a produit cette œuvre considérable, pas plus que les spécialistes que nous avons interrogés pour notre hors-série Shakespare l'éternel magicien.
William Shakespeare est né en avril 1564 et mort le 23 avril 1616, à 52 ans. Quatre cents ans après, il est toujours là ! Et follement aimé, joué, adapté… Shakespeare est inépuisable. Ses nombreuses pièces – il écrivait vite et sans rature – qu'il n'a jamais jugé bon de publier, triomphent sur les scènes du monde entier, et pas seulement en cette année particulière de célébration. Chaque saison, tous les théâtres, tous les festivals programment Shakespeare. Parce que le public l'adore, parce que les gens de théâtre et de cinéma rêvent de se frotter à sa démesure. Il n'est qu'à voir le succès retentissant du Roméo et Juliette, mis en scène par Éric Ruf à la Comédie-Française cette année. Les jeunes s'y pressent, se reconnaissant toujours dans cette sombre passion.
Qui ignore « to be or not to be ? », qui n'a jamais entendu les noms d'Othello, de Macbeth, de Lear ? Les fans de Game of Thrones savent-ils que leur série est largement inspirée par les pièces « historiques » du grand Will, où les Henri et les Richard se livraient des guerres sans merci pour le trône ? D'ailleurs l'hommage des auteurs à Shakespeare est tel que chaque épisode commence ainsi « L'hiver vient… » en écho à « l'hiver du déplaisir » qui ouvre Richard III. Et ces mêmes fans qui aiment « avoir le swag » savent-ils que Shakespeare a inventé ce mot, qui signifie « querelleur, insolent, fanfaron » et qui s'est transformé en « avoir la classe » ?
Un message "universel"
Comme le dit si justement le grand Michel Bouquet à ses élèves du Conservatoire : « Chaque mot écrit par Shakespeare a un sens métaphysique et universel. » Pourquoi ? Parce qu'il est le premier à avoir révélé que le monde est une scène et que « la vie n'est qu'une ombre errante, un pauvre acteur qui se pavane et s'agite une heure sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus. C'est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien » (Macbeth, acte V, scène 5).
Aucun metteur en scène, aucun acteur ne résiste à cet appel au jeu, à cette mise en abyme, à ces questions incessantes. Peter Brook épura la scène jusqu'à l'extrême pour révéler l'invisible. Patrice Chéreau fit apparaître le spectre du père d'Hamlet sur un cheval, Ariane Mnouchkine en appela au théâtre oriental. La fulgurante beauté de la poésie shakespearienne, en vers ou en prose, recèle le mystère des dieux et la folie humaine, la magie du surnaturel et le temps qui ignore la chronologie. Les mots restent, le rythme, le souffle aussi. Ainsi le discours d'Henri V avant la bataille d'Azincourt, fatale aux Français, continue à ravir nos cœurs « we few, we happy few, band of brothers… » : « Nous, les heureux, nous, bande de frères… » N'est-ce pas ce que nous voulons entendre, ces paroles de fraternité dans un monde qui s'agite et se pavane ?
Merci Shakespeare.