Dédié globalement à Éros.
Moi
je n'en suis pas, dans la mesure où je suis trop empli de ma folie,
et satisfait de l'être. J'écris, je brûle mes nuits à des bougies
d'encens et de brouillons de poèmes, j'avance dans ma vie sans
clarté, je souffre et j'en jouis, je ne recule devant aucun écran
opaque, je me jette à corps perdu dans l'ivresse, dans la décadence
et la romance, ma quête est le drame en chaque instant ; bref. Que
voudriez-vous que je vous apporte ? Et je suis incapable (notamment
par refus) de limiter mon Éros à une seule femme, si diane
soit-elle.
Comme
au sein d'un parjure, l'ange tombé du ciel est sans nuit.
-
I.
1.Un monde rampant grandit dans mes stigmates, et ma tête est son
nid ; terrier creusé dans l'os et la chair, mon corps est son
cachot. 2.Ce serpent sans écaille à l'emplacement d'un titan et
l'habit d'un satrape. 3.Il me ricane aux tempes, glissant et
contournant mes aphrodites. 4.C'est la peur qui l'appâte et l'étend
dans mes sangs. 5.Mon crâne est son appartement. 6.Attention ! 7.Il
me lamente, je l'entends, il me lamente quand il me frappe. 8.Me
torturant, il se maltraite, me torturant, il s'émancipe ; me
torturant me torturant. 9.Il chuchote des mots lancinants, comme
mordillant du coin des dents mon nerf malade et brûlant. 10.Il me
mâchonne comme un bâton de réglisse en forme de croissant, de
crosse en robe blanche à bonnet violet. 11.Ce monstre a des airs
crématoires et des dents noires, des ivoires doublées d'anthracite,
à la faveur des nocturnes qu'il hante avec aigreur. 12.Parlons-en de
ses aigreurs ! 13.Il mouille ses anneaux d'un lubrifiant bileux, un
peu songé, un peu ressassé. 14.C'est amer. 15.Parfois, l'été, dès
les soleils grands ouverts comme ceui, là, dehors, il glisse
péniblement son prolongement crochu sur ma nuque et va dans mon dos.
16.Il y serre sa griffe et froisse tout. 17.Une arborescence
douloureuse, cassée comme les doigts blancs d'une mort d'aurore aux
lambeaux gris, jaillit. 18.Foudroiement. 19.Il descend en ondulant et
va fermer son poing griffu dans les fibres de mes muscles,
II.
1.de mes os, de mes espoirs. 2.Tout cela est en morceaux entre mes
mains ensanglantées, et mes amis en pleurs d'hiver, moi-même
hébété. 3.Je suis son hollandais à envoler, son Héloïse à
enlever, son lys à faire crever. 4.Ma mythologie s'en endeuille, aux
pierres tombales en fer forgé, noirci dans les ruines d'un cimetière
gothique et servant de perchoir à des freux magiciens. 5.N'avoir
qu'un embryon de léviathan, rejeton mortifère et poisseux. 6.Il
s'en va chevauchant vers les horizons décevants, il s'en va en
saluant les étoiles éteintes qui ont encore leurs places dans les
espaces sombres tissés, voilés des oublis. 7.Elles illuminent par
leurs présences imaginées, des éclats blafards de néons bleutés,
flashs oniriques. 8.Il s'en va lentement et résolument vers les
ennuis, vers l'ennui, en vers des ennuis baudelairiens. 9.Ce monstre,
c'est l'échec désailé, la voilure enflammée des deux pages de
l'ange, car sa quête est sans agent ni miroir. 10.Il n'a que son
propre regard, aimant de l'auréole absente des étoiles déchues.
11.Il se fait évêque dans une époque où le néant est son
épiscopale écharpe. 12.Où le néant a des rubans mouvants, aux
extrémités digitales en fibres qui glissent, séduisant, caressant,
entre les lignes de mes muscles. 13.Ils fascinent, approprient les
termes du sensible, apprenant comprenant, avançant tout le temps.
14.Elles enluminent, l'or avec le fer, sommeillant vigilance et
méfiance. 15.Ils s'installent. 16.L'apôtre s'installe. 17.L'ange
déchu contemple son totem perdu puis revenu, assis en tailleur sur
le haut des terres qui accueillirent son effondrement. 18.Et si loin
des liens, si loin, si loin de tout, de tout et du flux palpitant, et
si loin, si loin, loin de mes âmes et mésamantes,
III.
1.un monde en vents. 2.Des colonnades nues sous des arcades rompues,
le vent qui peuple de ses bruissements une immense cité sans
habitants ; ils ont tous emprunté l'escalier descendant. 3.Les vents
sous les brisants visés, saisis, criblés par le néant. 4.Des
symboles interprétés par le néant. 5.Il les veut comme au dauphin
dansant, embrasé dans l'embrun, trop près des falaises, de roche et
d'acier qui fendent les flots, les eaux d'ardoises. 6.Le dauphin se
dessine dans les souvenirs quand il dansait sous les docks du vide
absolu. 7.Tout se tétanise, doucement, discrètement, sans aucun
argument lucide. 8.La rhétorique et la raison n'ont rien à voir
dans ces passions, tout est affaire de tension ; même le silence est
tendu par l'érotisme et la mort. 9.L'oiseau sans aile (le poisson
humain) dansant aux flancs métalliques des bateaux, le poisson
humain (l'oiseau sans aile), je le regarde, du haut de la vigie des
mémoires. 10.Elles font un mât sans intérêt, perchoir pour les
mouettes cadavériques, haillonneuses, et lugubre de leurs rauques
agonies. 11.Le dauphin glisse le long des abysses vers les
sous-marines, se faufile et puis il m'échappe. 12.Je l'ai perdu le
corps d'argent à la lueur des rougeoiements, au fond de mon océan,
je ne l'ai plus vu. 13.Il s'est perdu. 14.Il a plongé dans l'abîme.
15.Il est tombé là où des feux d'argile, visqueux et doux, font
fondre les eaux en des cristaux de sel et des archipels éternels,
qui se dissolvent et se refont, mettant la mer et la mort sur des
vérins couleur safran. 16.Ainsi les eaux lévitent sur l'intérieur
des sphères où le central hémiglobe révolutionne puissamment sur
lui-même. 17.Un brasier d'origine, des laves parfaites en orbites
les unes des autres. 18.Les Enfers ; d'où est-il revenu mon dauphin
ivre ? 19.Il s'y est confronté aux langues éternelles, consumant
IV
1.ses chants dans les cendres des cygnes d'avant, des phoenix
amoureux (ce ne sont pas des oiseaux de feu sans aile, simplement ce
sont leurs écailles rousses qui flamboient derrière l'écran marin
des eaux vertes qu'enlumine l'éclat des avatars d'apocalypse). 2.Le
léviathan revînt, par la voix du dauphin. 3.Il me brûla les
omoplates et la colonne, déchira les moignons de mes ailes noires et
fossiles, fondant sa porte, y fit des plaques d'acier, elles sont
souffrantes, elles amputèrent définitivement les vestiges des
ailes. 4.Et j'ai mal. 5.J'ai mal. 6.J'ai mal. 7.La souffrance en
fanal a guidé l'homme luminescent brûlé, privé de la mer.
8.L'homme d'argent, qui jadis s'offrait des immersions de passion,
plongeait sans apnée devant l'azur bienveillant dans les cheveux de
Neptune pleins d'algues carnassières, jusqu'à son coeur flamboyant.
9. Et les soleils nocturnes aux fonds des ténèbres sourdes d'un
bien-être au cocon. 10.La souffrance en fanal l'a irrémédiablement
guidé vers la surface, pour qu'il la crève en un faisceau blanc ;
un cordon naturel qui l'a mené directement dans mon crâne. 11.Avec
sa herse de dents en lames. 12.Et j'ai mal. 13. J'ai mal, j'ai mal !
14.Putain sans vêtement qui a perdu la mer et les pudeurs
sibyllines. 15.Il y fit mon âme sensible comme je désirai, comme je
l'écrivis avant – oh oui – la dévastation métamorphique. 16.Du
granit, du granit ! 17.C'est la lyre brûlée, c'est Orphée
démembré, c'est Morphée découché ; et c'est la fin des fleurs du
temps. 18.La fin des myosotis bleuis sur les tombeaux, des tournesols
sur les tertres, des rosiers sous les collines ; la fin des printemps
sous les vapeurs d'acide d'un monde désincarné. 19.Les vapeurs
éclosantes font des corolles de
V
1.pourpre soyeuse en fin velours, emplies telles coupes à nectar.
2.Pleines de soude. 3.Pleines des amertumes et des anneaux de
Saturne. 4.Et léviathan s'abreuve aux poignets ouverts, tranchés
de ma maîtresse, il plante ses dents creuses (aux intérieurs
plaqués d'anthracite comme – oh oui – elles furent dites) pour
emplir ses flûtes, ses pipeaux, ses chansons pastorales aux danses
des chimères (et des chevriers). 5.Il prend les sexes des amantes
pour en faire les fourreaux de sa garde, les manches de sa haine,
l'outil de ses balafres. 6.Il en extraie le suc sacré pour concevoir
des baumes aux nacres apaisantes. 7.Il les mélange au venin sorti de
ses mille crochets diaphanes, comme une vaste tringle à rideau qui
trouerait la peau de ses brunes. 8.Une auréole ratée. 9.Il
pervertit la grâce des nuées et me faisant l'archange des
sombreurs, sale et damné. 10.Maintenant le rivage des fifres a
rouillé et se jonchent de carcasses d'avions aux os éclatés
dressés vers le ciel ; des injures, on dit des injures ; des barres
tendues en pétales ; et le bouquet de dents laiteuses au bout de mon
serpent font un bulbe hérissé de monstre. 11.Un par tête
chevelue... d'un ivoire anthracite. 12.Mon corps est son chaos vécu
sans la limite