h42ansreims (clôturé)
il y a 10 ans
La Suisse a souvent attiré le regard des extrêmes-droite, en France et ailleurs en Europe. Aux débuts du Front national (FN), par exemple, c’est un événement helvétique qui a stimulé le parti français à s’intéresser au prétendu « problème de l’immigration ».Au cours de ses premières années, le FN ne s’était guère intéressé à la question, et avait mis en avant plutôt d’autres sujets : le refus de la décolonisation, l’anticommunisme, la lutte contre l’avortement et pour l’ « ordre moral », notamment. Or, un référendum d’initiative populaire tenu en Suisse le 07 juin 1970 – visant à la limitation du nombre d’étrangers par canton – avait connu un succès fulgurant : 46 % avaient voté pour le texte soumis au vote par un parti d’extrême droite, « Nationale Aktion » (NA), malgré l&rsquoposition de tous les grands partis, du patronat et des syndicats. François Duprat, premier idéologie en chef du FN entre 1973 et 1978, avait étudié l’exemple suisse. C’est lui qui a inculqué, ensuite, à son parti une ligne consistant à présenter l’immigration comme l’un des problèmes principaux des sociétés française et européenne.
Plus proche de nous dans le temps, le référendum d’initiative populaire du 29 novembre 2009 a aussi largement influencé l’extrême droite de l’Europe entière. 53 % des participant/e/s avaient alors voté pour l’interdiction de toute construction de minarets pour une mosquée. Le principal initiateur du référendum, le député Oskar Freysinger (UDC), fut ensuite accueilli comme un héros dans de nombreux pays. Entre autres à Paris, le 18 décembre 2010, lors des « Assises contre l’islamisation de nos pays » co-organisées par le Bloc identitaire…
Aujourd’hui, une nouvelle fois, un vote helvétique motive l’extrême droite dans d’autres pays du continent européen et leur procure de nouvelles énergies. Dimanche 09 février 2014, une courte majorité de 50,3 % a adopté un texte présenté par voie d’initiative populaire, visant à combattre « l’immigration de masse » selon la formule choisie par ses initiateurs. La participation au vote était de 55,8 %. Au total, 1,46 million de personnes ont voté « oui » à la limitation de l’immigration et 1,44 million « non ».
L’issue de ce vote serré stimule à nouveau l’extrême droite française, Marine Le Pen déclarant par exemple : « Les Suisses font preuve de beaucoup de bon-sens. J'aimerais bien qu'on les suive d'ailleurs et je pense que s'il y avait un référendum en France sur ce même sujet, les Français voteraient très largement pour l'arrêt de l'immigration de masse. C'est évidemment vers ce chemin que j'appelle les Français, ce chemin de la liberté, de la souveraineté, de la défense de notre économie, de notre système de protection sociale et de notre identité. »
La présidente du FN n’est pas seule sur ce créneau. Une partie de l’UMP emprunte à peu près, voire exactement les mêmes tonalités. Lundi matin, 10 février, le dirigeant UMP (et eremier ministre) François Fillon a ainsi considéré qu’il était « parfaitement naturel » qu’un pays « veuille réduire le nombre d’étrangers sur son territoire ».
La votation sur un texte dit « contre l’immigration de masse » avait été lancée par le parti mal nommé « Union démocratique du centre » (UDC), situé entre la droite et l’extrême droite, qui exploite depuis un quart de siècle le filon d’un nationalisme isolationniste. Ce parti a réuni 28 % des voix il y a quelques années, avant de tomber à 25,8 % aux législatives d’il y a deux ans. Le projet de Loi qu’il avait soumis au vote, par voie d’ « initiative populaire » - et que les autorités doivent maintenant mettre en œuvre dans un délai de trois ans -, vise à instaurer des quotas pour l’immigration. Cela mettra fin à la liberté de circulation des personnes, garantie aux ressortissants de l’Union européenne depuis des accords négociés en 1999 et entrés en vigueur depuis 2002. Les quotas s’appliqueront à la fois aux demandeurs d’asile et réfugiés politique – ce qui viole un droit fondamental – et aux ressortissants européens qui viennent travailler en Suisse. Patronat et syndicats avaient combattu le texte, tout comme l’ensemble des grands partis à l’exception (bien sûr) de l’UDC.
Sur 26 cantons (ici : Etats fédérés) que compte la Confédération helvétique, 9 ont rejeté le texte soumis au référendum ; parmi eux, les cantons francophones, où le nombre de travailleurs transfrontaliers est de loin le plus élevé. C’est même là que le rejet du texte est le plus massif. Les grandes villes germanophones de Bâle et Zurich ont aussi voté contre. En revanche, 17 cantons (majoritairement germanophones) ont voté pour, les plus forts taux d’approbation se trouvant dans le centre géographique du pays, où il n’y a quasiment pas de transfrontaliers ni d’immigrés, ainsi que dans le Tessin italophone.
Ce n’est donc, à l’évidence, pas la concurrence sur le marché du travail que créerait l’immigration (ou encore l’emploi des travailleurs transfrontaliers) qui explique ce vote : là où la présence de l’immigration ou des transfrontaliers est une réalité, le référendum ne triomphe pas. N’oublions pas, non plus, que le taux de chômage en Suisse est inférieur à 4 % au niveau fédéral. Ce qui signifie que le pays n’est pas du tout situé dans une situation de « dumping » salarial où la présence d’une main-d’œuvre de réserve permettrait au patronat de pousser à la baisse des salaires. Au contraire, jusqu’ici, l’immigration de travail est surtout utilisée pour épargner aux Suisses d&rsquocuper des emplois relativement mal rémunérés – dans la restauration, le nettoyage – ou mal considérés, leur permettant ainsi de grimper dans la hiérarchie sociale. La remarque, souvent reproduite dans la presse française, qu’« avec 24 % d’étrangers, le taux d’immigration est très élevé en Suisse » trompe également. Il faut savoir que la naturalisation reste une chose assez exceptionnelle, où chaque cas de naturalisation est souvent individuellement soumis au vote de la population du canton – ainsi, les accessions à la nationalité ne sont accordés qu’au compte-goutte, et littéralement « à la tête du client ».
Loin de refléter une réalité de problèmes sociaux qui serait prétendument créés par l’immigration (ou le travail transfrontalier), ce vote est avant tout le fruit d’une agrégation de peurs, de crispations identitaires et de rumeurs irrationnelles. La méfiance vis-à-vis d’un « establishment » qui avait très majoritairement appelé au rejet du référendum jouant elle aussi un rôle important, tout comme la crainte, au fond, de perdre un statut extrêmement privilégié en Europe.
V.I.S.A.
http://www.visa-isa.org/node/21726