Dégradation mondiale des terres
( si vous préférez, je puis retirer le texte, et ne laisser que le lien, car c'est vrai que le texte est long)
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Dégradation mondiale des terres : comment l'évaluer ?
Auteurs : Pierre Brabant et Claude Cheverry
Avertissements
Cet article présente le point de vue de spécialistes du sol.
Introduction
Le phénomène de dégradation des terres (photo 1) est perçu depuis très longtemps par l'homme comme un danger majeur pour sa survie.
Plus de mille ans avant notre ère, les agriculteurs de la Basse Mésopotamie ont ainsi vu certaines de leurs terres, [[irrigation|irriguées] et fertiles, devenir progressivement stériles par suite de leur salinisation.
Les Grecs de l'antiquité avaient une perception claire des ravages causés par l'érosion hydrique.
Plus récemment, en 1934, les Américains ont été traumatisés par le « dust bowl », phénomène d'érosion éolienne qui a dévasté les plaines du centre de leur pays.
Depuis le milieu des années 1970, les instances internationales, les agences de l'ONU en particulier (avec la FAO en première ligne) se sont mobilisées sur ce problème de la dégradation des terres et de son évaluation.
Le problème reste d'actualité.
À l'échelle planétaire les ressources en terres utilisables pour les besoins de l'homme sont limitées, alors même que les fonctions dévolues à ces terres se sont diversifiées, constituant autant de défis à relever : saurons-nous conserver la grande richesse de ressources génétiques, encore très mal connues, qu'hébergent les sols ?
Les sols de la planète stockeront-ils suffisamment de carbone pour contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique prévu par le GIEC ?
Les superficies de terres cultivables seront-elles suffisantes pour qu'une partie significative de cette ressource puisse être consacrée à la production d'agro-énergies ?
Et surtout serons-nous en mesure de nourrir correctement les 9 milliards d'habitants que comptera la planète en 2050 ?
Vietnam, province de Lam Dong, Dalat.
Terrain bouleversé par des ravines et des ravins à cause du surpâturage et de la destruction totale de la forêt.
Au fond, la forêt protégée d'un parc naturel.
(Photo P. Brabant)
Aménagement de versants en terrasses, Vietnam
Vietnam, province de Lao Caï.
Des ethnies minoritaires du Vietnam ont aménagé des versants entiers en terrasses.
(Photo P. Brabant)
Ce dernier défi impliquera de perdre moins de nourriture lors du stockage et de la consommation, et peut être de modifier nos habitudes alimentaires. Mais il faudra aussi augmenter la production agricole de 70%.
Cela suppose un bilan aussi favorable que possible entre trois ensembles de phénomènes qui mettent en jeu la dégradation des terres :
les pertes de terres cultivables (par urbanisation, érosion, salinisation...) ;
la mise en cultures de nouvelles terres ;
l'évolution des rendements sur celles déjà cultivées : (Robert & Cheverry, 2009 ; Girard & Cheverry, 2011 ; Roudart, 2011 ; FAO, 2011).
Dans ce contexte, on peut s'étonner des paroles prononcées en 2008 par un expert de la FAO[1], pourtant l'un des meilleurs spécialistes mondiaux du sujet :
« Nous n'avons jamais pu évaluer la dégradation des terres ; encore moins évaluer les pertes qu’elle occasionne ».
Pourquoi ce pessimisme relatif ? Nos outils d'évaluation sont ils pertinents et bien utilisés ?
C'est à ce type de question que l'on tentera de répondre ici, en rappelant avec force que l'homme est certes capable de dégrader les sols, mais qu'il est aussi capable de conserver leur potentialités, sinon même de les améliorer ou de les restaurer (Protéger et Produire, FAO, Rome, 1996, 40 p.).
La création et l'entretien soigné depuis l'antiquité de terrasses sur des pentes raides dans de nombreuses régions du monde en témoigne (Photo 2). Ce volet positif de l'action de l'homme ne sera pas traité ici.
La dégradation des terres : des chiffres alarmants, mais imprécis
Les phénomènes de dégradation des terres, fréquemment évoqués dans les scénarios prédictifs tels « Agrimonde1 » (Dorin et al., 2010), et le « Millenium Assessment »[2], et récemment par la Commission Européenne (2012) porteront-ils sur des superficies considérables de terres actuellement cultivées ?
Les données, parfois alarmistes, fourmillent dans la littérature internationale.
En 2008, l'International Assessment of Agriculture Knowledge, Service and Technology for Development (IAASTD)[3] évoque ainsi 1900 Mha déjà touchés par des niveaux très élevés de dégradation. D'autres sont un peu moins pessimistes.
Le programme GLASOD (voir ci-dessous) estimait en 1990 que 910 Mha des terres de la planète étaient « modérément dégradées » et 306 « fortement dégradées ».
En 2008, la FAO signalait que 20% de toutes les terres cultivées (310 Mha), 30% des forêts et 10% des pâturages étaient frappés par le phénomène de dégradation des sols.
Le rythme annuel des dégradations auxquelles on peut s’attendre dans le futur fait lui aussi l’objet d’évaluations fort diverses. Les pertes de terres liées à leur dégradation (hors changement d’usages tels l’urbanisation) évoquées par le rapporteur spécial des Nations Unies sont de 5 à 10 Mha/an.
La plupart des experts, s’appuyant sur des données de la FAO, proposent un rythme plus faible : 3,5 Mha perdus chaque année par suite d’une productivité devenue insuffisante.
Le problème particulier des terres irriguées (couvrant aujourd’hui des superficies de l’ordre de 280 Mha) ne sera pas détaillé ici, mais les différences d’évaluation des superficies de terres dégradées chaque année, notamment par salinisation, varient elles aussi fortement.
Il serait donc prétentieux, sinon même contre productif, d’afficher des évaluations précises.
On peut seulement proposer, à titre indicatif, des ordres de grandeur :
Lors des quarante prochaines années, la perte de terres cultivées par suite d’une détérioration de leur qualité (forte baisse de productivité) serait chaque année de l’ordre de 3,5 Mha, soit environ 0,25% du capital actuel de terres cultivées (1550 Mha).
Si l'on ajoute les terres perdues par suite d’un changement d’usage et de toutes les formes de dégradation, la perte annuelle serait de l’ordre de 10 à 12 Mha, soit 0,7 à 1% du capital disponible.
Pourquoi une bonne évaluation est-elle si difficile ?
Si la notion de dégradation des terres est intuitivement compréhensible même pour un non-spécialiste, les évaluations chiffrées qui en sont faites à l’échelle planétaire divergent fortement.
La complexité du sujet et le flou des concepts rendent difficile l’établissement d’un bon bilan des lieux et la réalisation de cartes à cette échelle.
Un concept flou, et en évolution
La première difficulté tient à la langue française. Les deux termes de « terres » et de « sols » sont polysémiques et souvent considérés comme interchangeables. Un choix a été fait ici.
Le « sol » est défini comme le « produit de l’altération, du remaniement et de l’organisation des couches supérieures de la croûte terrestre sous l’action de la vie, de l’atmosphère et des échanges d’énergie qui s’y manifestent » (Lozet et Mathieu, 1990).
Le sol a donc la dimension d’un volume. Son sens est proche de celui du terme anglais soil. Le terme de terre sera employé avec un sens plus proche du terme anglais land.
Il inclut le sol tel que précédemment défini mais accorde une importance forte à la manière dont ce sol est couvert et dont l’homme le gère. La dimension de surface y est parfois considérée comme tout aussi déterminante que celle de volume.
De ce point de vue, le concept de dégradation des terres a nettement évolué depuis trente ans. En 1978, la FAO la définissait comme « le processus qui réduit la capacité actuelle et/ou potentielle des sols à produire (quantitativement ou qualitativement) ».
Il s’agit donc bien ici de dégradation des sols eux-mêmes, de diminution de leur fertilité, au sens agronomique du terme. En 1994, l'United Nation Convention to Combat Desertification (UNCCD)[4], évoquait : « une diminution ou une perte de la productivité biologique ou de la complexité de la terre ».
Le Fonds Mondial de l’Environnement donne une définition plus détaillée mais de la même veine : « Toute forme de dégradation du potentiel naturel des sols qui altère l’intégrité de l’écosystème, soit en réduisant sa productivité écologiquement durable, soit en amoindrissant sa richesse biologique originelle et sa capacité de récupération ».
En 2008 enfin, le projet LADA parle de « la capacité de la terre à produire des biens et des services écosystémiques et à assurer ses fonctions sur une période de temps pour ses bénéficiaires ».
Cette évolution est confirmée par le choix des termes en langue anglaise. En 1978, c’est le terme soil qui est employé (soil deterioration).
Depuis une vingtaine d’années, l’usage du terme land l'emporte (land degradation). Si le sol reste au cœur du problème, la dimension surfacique, c’est à dire la manière dont une portion de territoire est utilisée, prend une grande importance.
On note également l'accentuation du caractère anthropocentrique du concept. Il s'agit désormais de veiller en priorité à fournir à l'homme le plus grand nombre possible de biens et de services écosystémiques dont il a besoin, la production de nourriture venant désormais en concurrence avec d’autres usages.
Une difficulté conceptuelle surgit alors : un sol dont la fertilité agronomique a diminué est-il pour autant un sol « dégradé » quant à sa capacité à remplir d'autres fonctions, stocker davantage de carbone par exemple ?
La difficulté de prendre en compte la dimension temporelle du problème
S'intéresse-t-on aux seuls phénomènes de dégradation encore en jeu ? A ceux survenus lors d’une période historique récente ?
Uniquement à ceux où la responsabilité de l’homme est engagée ?
Pédro (2010) rappelle que « toute action, naturelle ou anthropique, qui à la surface du Globe, soit inhibe la production de plasma (constituants fins du sol), soit affecte les liens entre les différentes phases constitutives du sol, favorise la dégradation des terres.
Celle-ci est donc d’autant plus marquée que le sol est plus vulnérable, que l’action du climat est plus incisive, que la pression de l’homme est plus accentuée ou enfin que la durée d’action est plus longue. »
Les institutions internationales qui se précupent de la dégradation des terres ont pour objectif prioritaire de freiner ces tendances négatives et de restaurer les qualités des sols dégradés.
Elles semblent privilégier la période actuelle et la responsabilité de l’homme et mettent l’accent sur les tendances observées sur les dix dernières années (stabilité, accélération..).
En outre, toute dégradation doit être définie dans le temps, à partir d'un « temps zéro ». Or il n'y a pas aujourd'hui d’accord international sur le « temps zéro » précédemment évoqué, alors que les résultats de toutes les évaluations en dépendent. On pourrait envisager l'année 1950, pour trois raisons :
c’est depuis cette date que l’agriculture s’est fortement développée ; c’est aussi à cette date que la technique des photographies aériennes a commencé à être appliquée à presque tous les pays du monde. On peut donc s’y référer pour connaître plus ou moins l’état des terres à cette époque ;
c’est enfin la période qui a vu la croissance démographique s’accélérer. Accessoirement, c’est aussi le temps zéro de toute étude sur la longue durée du passé - le « Present » du Before Present (B.P.) des datations au carbone 14.
Des difficultés méthodologiques et techniques, malgré des progrès récents
La dégradation des sols est habituellement caractérisée par quatre paramètres principaux : son type, son degré, son extension et ses causes. L’évaluation des types de dégradation ne semble pas poser de problème majeur. On distingue fréquemment les types qui concernent l’érosion (hydrique ou éolienne), ceux qui concernent les manifestations physiques, chimiques ou biologiques de la dégradation, et les « autres » dont la plupart résultent d’activités humaines polluantes ou de conflits.
L’évaluation du degré de dégradation pose des problèmes plus complexes car elle dépend de la fonction du sol que l’on privilégie. Lorsque la finalité est de nourrir l’humanité, beaucoup de spécialistes considèrent que le meilleur indicateur de la dégradation est la perte de rendement de l’[espèce] cultivée principale.
Mais la relation entre dégradation du sol et perte de rendement, malgré une bibliographie abondante (voir Lal, 1998) est loin d'être simple. Des études récentes de l'IRRI sur les causes de la stagnation des rendements du riz dans les pays symboles de la révolution verte (Inde) ont ainsi montré que ces causes sont multiples, sans que le rôle propre du sol et de sa dégradation puisse être clairement identifié.
Un surcroît de fertilisation peut par exemple compenser une dégradation des sols, comme on a pu le constater récemment en Mandchourie (Nord Est de la Chine).
Une autre difficulté tient au fait que les différents types de dégradation se traduisent en général par des diminutions des rendements et par une évolution souvent défavorable des cultures possibles. Mais il y a rarement abandon total. On passe de la culture au pâturage extensif.
Les seuils de ces évolutions sont difficiles à suivre. D’autres spécialistes préfèrent donc choisir des paramètres liés au sol comme indicateurs du degré de dégradation, en privilégiant l’analyse des obstacles que rencontre une plante pour se développer correctement : difficulté d’enracinement, appauvrissement chimique, diminution de la capacité de rétention en eau. La technique du GPS apporte un plus significatif pour déterminer avec précision l'extension des zones dégradées identifiables.
Les causes directes de la dégradation des sols sont les pratiques agricoles non appropriées (culture continue sans apports d’engrais ni d’amendements, raccourcissement excessif du temps de repos des sols, irrigation mal conduite, absence de mesures de conservation des sols), la surexploitation de la végétation pour le bois de feu, le surpâturage, et, en particulier dans les pays développés, une mécanisation excessive, des pollutions diverses.
Le concept élargi de dégradation des terres conduit à accorder en outre de l’importance aux causes indirectes : pression démographique, régime foncier, éducation, traditions culturelles.
En pratique, quatre grands types de méthodes sont utilisés pour évaluer et cartographier la dégradation des sols :
Le recours aux « dires à titre d’expert », c'est-àire à des spécialistes de terrain, qui connaissent bien leur région et sont aptes à déceler les signes d’une détérioration de la qualité des sols.
Pour couvrir la planète, de nombreux experts et de coordinateurs régionaux sont ainsi mobilisés.
Ont-ils tous la même conception de ce qu’est la dégradation des sols ? Les projets récents, comme LADA, veillent à ce qu’il y ait toujours plusieurs experts confrontant leurs points de vue respectifs.
La télédétection, dont les progrès permettent de repérer des superficies de plus en plus petites révélant des signes de détérioration : érosion, salinisation par exemple.
Mais certains indicateurs, comme une diminution du taux de matière organique, ou une compaction des sols ne sont que rarement décelables sur ce type d’image. Les pollutions chimiques sont très difficiles à identifier.
L’analyse morphologique des sols. Les pédologues s’intéressent à la genèse des sols, à leur évolution, que ce soit dans le plan vertical (différenciation des sols en horizons) ou dans le plan latéral (évolution temporelle de la couverture pédologique) et se réfèrent à la taxonomie des sols qu’ils ont établie.
Chaque catégorie de sol a en effet une sensibilité et une résilience particulière vis-à-vis des différents types de dégradation.
Les pédologues accordent en outre une grande importance à la morphologie des sols, à leur « anatomie ». Un bon sol est pour eux comme un sol bien « organisé », avec une bonne porosité. La compaction sera donc fréquemment considérée comme un signe fort d’une dégradation de la qualité du sol.
La stabilité de ce bon état structural sera logiquement une qualité complémentaire. Une bonne activité biologique décelable morphologiquement, liée par exemple à l’activité de la mésofaune (vers de terre) constituera un indicateur important à leurs yeux.
Une cartographie pédologique détaillée constitue un investissement précieux, mais très consommateur de temps et d’argent.
Les analyses chimiques, physiques, biologiques, sur des échantillons de sols.
Ces dernières méthodes sont désormais sophistiquées, et assez bien standardisées à l’échelle planétaire.
La mise au point récente d’indicateurs biologiques relatifs à la microflore du sol (empreintes moléculaires, profils d’acides gras phospholipidiques..) et à la faune du sol (lombricidés, collemboles, acariens etc.) constitue un progrès important.
Mais, outre le coût de la collecte de cette batterie d’indicateurs, les incertitudes analytiques peuvent être du même ordre de grandeur que les variations temporelles que l’on espère mettre en évidence !
Deux tentatives de cartographie planétaire de la dégradation des sols ou des terres
Le programme GLASOD (Global Assessment of Human-Induced Soil Degradation)
Ce programme a été lancé en 1987 par une collaboration entre deux agences de l’ONU (UNEP et FAO) et l'International Soil Reference and Information Centre (ISRIC)[5] de Wageningen.
Il a conduit à une carte réalisée à partir de la compilation de données existantes et de quelques observations de terrain.
Les continents ont été subdivisés en régions regroupant chacune plusieurs pays.
GLASOD a mobilisé 250 spécialistes du sol et 21 coordinateurs régionaux.
La version originale (carte mondiale à l’échelle du 1/10 000 000) a été diffusée sur papier en 1991 (Oldeman et al., 1991), et ensuite numérisée.
Elle a connu une large utilisation de 2000 à 2010 à l’échelle planétaire, de manière parfois abusive.
Cinq grands types de dégradation y sont distingués : érosion hydrique ; érosion éolienne ; détériorations chimique, physique, de l’activité biologique.
La détérioration chimique est déclinée avec six rubriques : perte de nutriments ou de matière organique, salinisation, acidification, pollution, sols sulfatés acides, eutrophisation.
La détérioration physique implique, en dehors de la compaction au sens large, l’abaissement du niveau de la nappe, l’affaissement des sols organiques, l’urbanisation.
GLASOD propose pour sa carte mondiale quatre degrés de dégradation, suivant l’importance de la baisse de rendement de la culture pratiquée. Les causes directes sont celles déjà évoquées.
Ce programme ouvre également sur des paramètres qui ne touchent pas au sol lui-même (déplacements de terre, sédimentation..) ou concernent une utilisation du sol à des fins non agricoles (urbanisation).
Les suites du programme GLASOD
La carte mondiale des sols dégradés a été affinée à l'échelle régionale dans le cadre des projets Soil Degradation in South and South East Asia (ASSOD) et Soil Degradation Assessment for Central and Eastern Europe (SOVEUR).
GLASOD a également généré d'autres projets, à objectifs plus ciblés, en particulier le projet World Overview of Conservation and Technologies (WOCAT)[6], qui s'attache au problème de la conservation des sols et de l'eau.
Mais cela a également conduit l’un de ses coordinateurs (P. Brabant, coauteur de cet article) à tenter de corriger certaines lacunes du projet.
Dans sa démarche (Brabant, 2010), il distingue trois grands types de dégradation : l’érosion (hydrique, éolienne, aratoire et mécanique) ; la dégradation sensu stricto (physique, chimique ou biologique) ; les dégradations diverses (dont l’urbanisation).
Les autres indicateurs qu’il met en avant sont l’extension et le degré de la dégradation.
Baser l’indice de degré d’évolution sur la seule évaluation d’une baisse de rendement lui paraissant une opération délicate et peu sûre, il a mis en parallèle un indice basé sur les caractéristiques du sol lui-même.
Dans une première étape, des unités physiographiques sont délimitées en laboratoire, en recourant aux images satellitaires et aux différents types de cartes disponibles (géologiques, pédologiques, d’utilisation des terres).
Sur le terrain sont ensuite identifiés dans des sites tests les trois indicateurs déjà évoqués (type, extension, degré d’intensité de la dégradation).
Des indicateurs complémentaires portant sur la vitesse de dégradation, la tendance historique, les causes, la vulnérabilité des sols, les effets hors-site, peuvent être mis en œuvre.
Dans une troisième étape, de retour au laboratoire, il construit un indice synthétique à partir des trois indices principaux.
L’outil pour délimiter des unités cartographiques de l’état de dégradation des terres ainsi en place a été appliqué à l’échelle de la totalité d’un pays, le Togo (Brabant et al., 1996) ou de provinces d’un pays, le Vietnam[7].
Le programme LADA-GLADIS sur la dégradation des terres
Le projet DESERTLINKS[8] sur la désertification en région méditerranéenne a été un précurseur du projet LADA.
L’idée directrice y était de définir un indice régional de désertification à partir d’une batterie d’indices, avec des procédures statistiques.
Les causes de la désertification, la diversité des paramètres humains en jeu, la résilience des systèmes, y ont reçu une attention particulière, de même que le sol, par suite des risques liés à l’érosion.
Les fonctions du sol sont regroupées autour de quatre grandes rubriques : régulation ; production ; habitat ; information.
Dans la fonction de régulation, le paramètre « stabilité structurale » est mis en exergue en soulignant son rapport avec l’activité biologique, de même que les indicateurs des conditions de dispersion des argiles.
Les porteurs de ce projet rappellent toutefois que les "valeurs critiques" qui pourraient être définies pour un sol ne sont valables que pour une espèce cultivée donnée, et peuvent varier dans l’espace et dans le temps.
Le projet LADA a été mené par la FAO[9] avec l'appui du Fonds Mondial de l'Environnement (FME) et du Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE).
LADA est à l'échelon planétaire le plus important programme des années 2000 sur le thème de la dégradation des terres.
Six pays ont étroitement été impliqués : Afrique du Sud, Argentine, Chine, Cuba, Sénégal, Tunisie.
LADA dresse un état des lieux des biens et services écosystémiques fournis par les terres.
Il s’intéresse ensuite aux tendances (dégradation ou amélioration). Six biens ou services sont considérés comme majeurs : la biomasse, le sol, l’eau, la biodiversité, les aspects économiques et les aspects socioculturels. Le sol n’est donc plus qu’un objet d’attention parmi d’autres.
Dans ce type de projet, les facteurs humains jouent un rôle clef. La méthode choisie est celle intitulée DPSIR en anglais, FPEIR en français.
Les Forces motrices sont les activités pouvant causer directement ou indirectement la dégradation des terres. Les indicateurs de Pressions regroupent des activités pouvant générer directement ou indirectement une augmentation de la pression sur la terre. Ceux d’Etat reflètent les conditions de la terre ainsi que sa capacité de résilience.
Ceux d’Impacts décrivent les effets et les impacts de l’augmentation ou de la diminution de la pression. Ceux de Réponses explicitent les mécanismes mis en place par les utilisateurs des terres afin de relâcher la pression sur la terre.
Le sol peut intervenir au niveau des indicateurs d’état (types de dégradation) : salinisation, diminution des éléments nutritifs, perte de diversité biologique par exemple ; mais aussi dans les indicateurs de Pression, comme le compactage lié à la pression de l’élevage ou du machinisme.
A certaines échelles d’étude, un expert FAO, F. Berding, propose d’agréger dix paramètres afin de constituer un indicateur synthétique de la « santé » du sol.
Suivant le score réalisé, cette santé sera qualifiée de très bonne, bonne, moyenne, mauvaise.
Les dix paramètres retenus sont l’épaisseur du sol, sa structure, sa texture, la présence d’éléments grossiers, la teneur en matière organique, la compaction liée au labour, les croûtes de surface (physiques ou biologiques), les conditions d’enracinement, l’activité biologique, la sodicité.
L’ambition de concevoir des indices synthétiques est étendue à tous les paramètres de la dégradation des terres, l’objectif ultime étant de définir un indice global de la dégradation des terres.
La première étape de démarche cartographique de LADA se base sur la délimitation de Land Use Systems (LUS), fractions de territoires caractérisées par un ensemble de données biophysiques et socio-économiques, recueillies par des enquêtes mettant en jeu un grand nombre d’acteurs de terrain.
Et ce n’est qu’ensuite qu’on évalue au sein de chaque unité LUS le pourcentage concerné par la dégradation (type, intensité).
Trois cartes GLADIS (Global Land Degradation Information System) sont disponibles à l’échelle planétaire.
La première porte sur la capacité des écosystèmes à fournir des biens et services.
La deuxième sur la dégradation des terres. La troisième sur les classes de dégradation des terres.
Une présentation synthétique des résultats de LADA a été faite par Nachtergaele et al[10]
Conclusions et perspectives : comment gérer un nombre croissant d'indicateurs de la dégradation des terres ?
La dégradation des sols
Les « modes » en termes d'indicateurs de dégradation
Les grandes catégories de types de détérioration de la qualité des sols semblent établies, l’érosion gardant chez certains une place à part, prééminente, car c’est l’existence même du sol qui y est menacée.
Mais on constate qu’au cours des trente dernières années, le poids relatif des indicateurs référés à ces trois disciplines de base que sont la chimie, la physique (en y incluant la morphologie et la minéralogie) a évolué.
Dans les années 1980, la chimie était en vogue. Les indicateurs chimiques ([capacité d’échange], toxicité aluminique, forte fixation du phosphore, salinité) étaient mis en exergue.
Aujourd’hui, ce sont les indicateurs biologiques qui ont le vent en poupe, par suite des progrès récents en la matière.
Le sol est volontiers considéré comme une « usine de la vie ». La raréfaction des travailleurs de cette usine, les « ouvriers » (bactéries, champignons..), les « superviseurs » (nématodes, micro arthropodes et al.) et enfin les « architectes » (vers de terre, termites) est considérée comme l’indice d’une dégradation grave
(ec.europa.eu/environment/soil/pdf/soil_biodiversity_brochure).
Mais il paraîtrait dangereux d’accorder une importance trop exclusive à un seul de ces types d’indicateurs.
La « qualité » d’un sol est d’abord un équilibre entre des paramètres très divers, assurant par exemple un confort morphologique et biologique à la plante que l’on veut produire dans des conditions optimales.
L’évolution du taux de matière organique et celle de la densité apparente restent aux yeux de beaucoup des paramètres incontournables pour juger si la qualité du sol est en voie de détérioration ou non.
Mais toutes les matières organiques ne sont pas « bonnes », et les mesures de densité apparente sont très coûteuses, ou de précision incertaine !
Un intérêt particulier devrait être apporté dans l’avenir aux indicateurs décelant des évolutions lentes mais pernicieuses de la qualité du sol.
Rappelons ici le cas le plus spectaculaire de gains de nouvelles terres à l’échelon planétaire depuis cinquante ans, hors déforestation : la mise en culture des cerrados brésiliens.
Ces terres conquises sur la savane ont vu leur faible qualité chimique initiale (sols acides) assez facilement corrigée.
Mais leur fertilité ainsi améliorée pourrait être compromise à terme par une diminution de leur qualité physique, suite à la compaction de la couche arable. L’un des objectifs de la pratique du semis direct est d’ailleurs de limiter ce risque.
Vers une meilleure prise en compte des « effets hors-site »
Comment prendre en compte les effets hors-site ? L’érosion par l’eau et le vent entraîne des effets hors-site qui sont dus aux matériaux déplacés à une distance variable du site érodé. L’envasement des retenues de barrage est un exemple d’effet défavorable.
Mais ces effets peuvent être parfois favorables, comme le dépôt d’alluvions fertiles dans les plaines inondées et les deltas. Les dégradations physiques, chimiques, biologiques ont fréquemment des effets hors-site d’ordre socioéconomique, la migration des habitants notamment.
Des espoirs en matière de modélisation des risques de dégradation
L'exemple de l'érosion hydrique illustre l’intérêt et les limites de la modélisation.
De nombreuses expérimentations ont été menées dans le monde sur des parcelles en pente de quelques dizaines à quelques centaines de mètres carrés, simulant ainsi le phénomène à l'échelle des versants.
Des mesures avec le Césium 137 ont été effectuées. Récemment, et en particulier en Europe, des démarches de modélisation se sont développées.
Dans les arbres de décision qui ont été conçus, les données sur la sensibilité des sols à la formation d’une croûte de battance, sur l'érodibilité des sols ont été croisées avec des données sur le couvert végétal et les caractéristiques des précipitations (Le Bissonnais et al., 2004).
Les modèles élaborés font notamment appel à des modèles numériques de terrain aux résolutions de plus en plus affinées (250m, 50m, voire même 20m).
De très belles cartes ont été tracées. Mais comment valider ces modèles ? On peut certes interroger des fichiers de déclaration des catastrophes naturelles.
Mais tous les sédiments érodés ne créent pas des dégâts, car une partie peut être piégée dans des situations intermédiaires. Cette approche des risques, l’aléa érosion, constitue néanmoins un excellent moyen pour responsabiliser l’homme et lui éviter de passer du risque à la réalité !
La dégradation des terres
Donner une définition de la dégradation des terres n’a rien d’évident. Un exemple illustrera cette difficulté. Dans le nord du Mozambique la zone était infestée de mines antipersonnel qui ne sont retirées que très progressivement.
Le terrain est abandonné, même pour la recherche de bois de feu, à cause des risques encourus. Pendant ce temps le sol se bonifie par un repos naturel forcé.
Cette terre doit-elle être considérée comme « dégradée » ? Des actions de l’homme très diverses peuvent survenir : l’urbanisation bien entendu, mais aussi des exploitations minières à ciel ouvert, des guerres, des pollutions accidentelles par des produits radioactifs (Tchernobyl, Fukushima) et la liste est longue.
Dans les projets s’attachant à la dégradation des terres dans le sens le plus large du terme, la prise en compte des causes indirectes de la dégradation (pression démographique, régime foncier, éducation, traditions culturelles) s’impose.
Dans ce contexte, le rôle des spécialistes des sciences humaines devient déterminant.
Cette approche a certes l’intérêt de mettre en évidence toutes les facettes de la responsabilité de l’homme dans le phénomène de dégradation, mais elle conduit à un très grand nombre d’indicateurs.
Le recueil par une multitude d’enquêteurs puis la synthèse de ces indicateurs met en jeu une batterie d’indices intermédiaires.
L ’ o p é r ation s’avère très lourde, et sa « traçabilité » difficile. On peut par ailleurs se demander si un concept de dégradation tourné aussi délibérément vers les divers besoins de l’homme à relatif court terme (« multifonctionnalité des sols et des terres ») n’est pas devenu trop anthropocentrique.
Modifié il y a 9 ans, le mardi 28 juillet 2015 à 03:45