Bienvenu en Enfer. Par les temps qui courent, ils sont plus rares et plus en danger que jamais. Qui ? Les coeurs solitaires bien sûr.
En ce monde il est très difficile d'être un coeur solitaire, mais très facile de s'esseuler. Le danger guette, omniprésent, imponcifiable, permanent, parfaitement réel et plus sournois que tous les expédients métaphoriques imaginables.
Si on peut encore ermiter dans quelques coins du globe, il faut soit une santé de fer pour s'y accrocher, soit assez d 'argent pour se préserver. Par le passé, quand le genre humain était moins problématique d'un point de vue écologique -- moins, parce qu'aujourd'hui est catastrophique semble-t-il, et que ce ne serait pas près de s'arranger -- il y a eu la possibilité de faire sa cabane dans la forêt et en pleine montagne, perdu pour la gente humaine aux pieds moins laborieux. Côté pratique, ça reste à vérifier, mais côté réalisable ce n 'est plus envisageable depuis. Où qu'on aille sur cette planète, tout appartient aux hommes. Qu'il s'agisse de propriété privé ou de l'état, de patrimoine ou d'héritage -- légué par nos ancêtres, ou éventuellement destiné aux générations pouvant suivre -- qu'il soit personnel ou même « mondial et de l'humanité », tout notre monde est sous hypothèque. Phénomène accru par la mondialisation et en particulier par la spéculation, la terre esclave ne peut dès lors offrir de refuge. Faute de refuge physique, il faut inventer un refuge mystique, quel qu'en soit sa valeur.
Mais d'abord, c'est quoi un Solitaire ?
D'un point de vue amateur, un coeur solitaire est très difficile à décrire : c'est un coeur comme les autres, qui bât, avec ses rythmes, ses ardeurs, ses blessures et ses secrets, et il n'y en a pas deux qui se ressemblent. Voit-on de quoi on parle ? Pas du tout. C'est pourtant une description honnête, quoiqu'incomplète et impossible à compléter. Comme tout ou presque en sentiments, le mieux c'est encore le cas par cas si on veut être précis et juste. L'un des biais permettant une généralité, c'est l'analogie.
On peut voir l'humanité comme une vaste expérience horticole, avec ses plants cultivés ou sauvages, ses parasites, ses défenses, ses besoins, ses dépendances et ses différences. Comme toutes les plantes, tous aspirent à une place au soleil, la satisfaction de leurs besoins et l'épanouissement. Posons le postulat que la société est, au coeur humain, ce que l'eau est pour les plantes. Certains coeurs ont besoin de beaucoup de société (beaucoup d 'eau) -- que ce soit des contacts, des relations ou du relationnel -- vivent dans des conditions surpeuplées (humide) et prospèrent autant que faire se peut. A l'inverse, certains sont de vrais cactés, vivant de façon très convenable ou s'épanouissant avec très peu à vraiment très peu de société (désert semi-aride à vraiment aride) -- nombre de contacts restreint, relations distendues et pas vraiment d'attrait pour le relationnel. Et en bon cactus, ils dépriment (dépérissent) dès qu'il y a trop de société (autant dire qu'ils se noient sur place). D'ailleurs en bon cactus, si certains on de l'allure, les coeurs solitaires sont en général peu attractif même si par extravagance on aime bien en avoir un ou deux chez soi, auquel cas on s'en occupe bien ou mal, et parfois on s'y pique, et le plus souvent ça demande si peu de soin qu'on y fait plus attention, un peu comme ces vieux bibelots de vacances qu'on oublie une fois posés.
L'analogie visuelle est un peu longue mais permet peut-être de mieux s'y retrouver, l'humain ayant comme sens directeur la vue. Maintenant qu'en sait toujours aussi peu, on a peut-être une meilleure esquisse du Solitaire : un être pas plus sombre, froid ou distant que la norme, qui ne fonctionne pas du tout différemment, surtout en détail, dont les besoins ne diffèrent que par la quantité, et pas par la qualité. Sans société suffisante, un coeur déprime ; mais trop de société le déprime aussi. Le coeur solitaire se situe simplement un peu en deçà des besoins relationnels quantitatifs les plus communément admis, ou, pour être plus exact, tolérés.
La démarcation est nette. Populairement, l'étiquette qui vient est : « asocial ». Asocial (le mot) regroupe beaucoup de concepts, aspects et paronymes, hormis le Solitaire en question. Le terme (français) a clairement une connotation négative de par son préfixe privatif d'une part, et de part l'importance de cette facette majeure de notre nature qu'est la socialité -- scientifiquement admis, l'humain est une espèce sociale. De fait, un humain moins social pour une quelconque raison pousserait d'instinct ses congénères à la méfiance, sinon à l'agressivité quand l'incompréhension est non seulement réciproque, mais encore envenimée par un contexte défavorable. L'humain tolère la différence sans forcément l'accepter. Accepter demande de la volonté, tolérer demande de la patience.
Pourtant être Solitaire n'est pas prêter le flanc à l'agression, c'est même le contraire. Le solitaire n'aime rien tant que la société, parce qu'elle n'est pas habituelle. Cependant la réserve de patience nécessaire de part et d'autre est souvent vite épuisée. Le terme « associable » est peut-être plus juste -- même s 'il n 'en est pas moins vague et regroupe lui aussi beaucoup de concepts, aspects et paronymes hormis le Solitaire en question -- en cela qu'il ne s'agit guère d 'une volonté du Solitaire ou de ses alter ego sociaux d'arriver à une situation de mise à part, sinon mise à l'écart ; mais bien d 'une capacité.
Pouvoir, c'est croire. Quand on possède une capacité, un « talent naturel », on s 'imagine difficilement sans. Il n 'est pas plus facile de s'imaginer les autres sans : notre subjectivité les perçoit estropiés, déformés par la lentille omniprésente du moi qui prévaut sur notre échelle de valeur du « mieux » et du « pire ». De même, c'est difficile de s'imaginer avec cette même capacité amoindrie, et pire encore quant à projeter cette situation sur autrui : autrui n'est plus estropié à nos yeux, il est incomplet. Et cette situation change tout. Parce qu'autrui est incomplet, il doit progresser -- penser différemment est un exercice difficile. Si autrui est incomplet, l'aider peut sembler naturel, divertissant ou même nécessaire. Parfois autrui ne peut pas ou, pire, ne veux pas progresser parce que son échelle de valeur du « mieux » et du « pire » est différente. On pardonne très difficilement un manque de volonté, ou une contre-volonté.
Le Solitaire navigue donc toujours en eau limpide pour lui et trouble sinon bourbeuse pour le Socialitaire (« socialistes » aurait pu convenir s'il n'avait pas de connotation politique en France), autant que l'inverse est vrai. L'incompréhension est souvent mutuelle, parfois source de tension. Une tension qu'il faut évacuer. Le Socialitaire se délecte pour autant de moments solitaires, lui servant parfois à évacuer cette tension, ou bien c'est dans son cercle social qu'il trouvera la ressource. Et on peut dire exactement l'inverse du Solitaire. Comment les différencier ? Difficile à dire. Il est préférable de ne pas faire de généralité.
Une généralité qu'il faut éviter à tout prix. Le Solitaire n'est pas ce qu'on imagine. Il n'appartient à aucun groupe et vouloir regrouper les Solitaires sous une même bannière, c'est faire fausse route. Vouloir croire que les solitaires s'entendent mieux entre eux est une autre erreur. Les Solitaires limitent leur cercle social, que celui-ci compte ou non des Socialitaire[s], ou même d'autre[s] Solitaire[s]. S'ils auront moins de mal à se comprendre, les Solitaires ne s'entendent pas mieux entre eux qu'avec des Socialitaires. Ce n'est pas dans leur nature. Leur nature est justement d'évoluer en périphérie d'autre[s] groupe[s], d'autre[s] personne[s], d'avoir des interactions mais pas d'appartenance. Ce ne sont pas pour autant des parias marginaux, mais ils évoluent en marge de toute Société.
Encore une autre idée reçue : les Solitaires sont forcément des célibataires. Quand une « société » restreinte se limite à deux personnes, on peut autant parler de société que de couple, sans connotation sexuelle obligatoire s'entend. Or un couple n'est plus un groupe, c'est une unité formée par deux sous-unités. Difficile en ce cas de parler de réel cercle social à cette échelle. On peut avoir des couples de tempérament solitaire, avec des sous-unités socialitaires ou solitaires. L'inverse paraît peu probable, mais rien ne s'y oppose.
S'il y a un préjugé à combattre, c'est bien le suivant : un coeur solitaire est un coeur égoïste. Pas plus qu'un coeur socialitaire. Certains Socialitaires égotisent et ont besoin d'un cercle social qui flatte leur ego, ne sont pas intéressés par autrui mais par ce qu'il peut apporter, en un mot font preuve de beaucoup d'égoïsme. Et il apparaît des Solitaires très généreux, dévoués quoique distants, ayant un besoin d'apporter/participer à leur cercle social. Un Solitaire peut certainement être fidèle, d'autant plus si la compréhension est de mise.
Or donc et hors cela, le Solitaire est un satellite, vagabond ou fidèle, avec beaucoup de ressemblance avec l'astre -- ou le désastre -- autour duquel il vit sa vie.
Modifié il y a 15 ans, le vendredi 16 octobre 2009 à 15:27