Laudator Temporis Acti :
Ces souvenirs restent ancrés en moi, pareil à une infection, le même lieu, la même femme, la même chute. Ressassés, encore et encore..et encore.
Je n'en comprend pas la raison, tout comme je ne m'explique pas son énigmatique sourire, ses gestes parfaitement répétés ressemblent à ceux d'un métronome qui m'entraine sans le moindre consentement dans une danse exubérante et désespérée qui ne trouve de rythme qu'à la nuit tombée, et qui s'achève en un triste récital.
Mais pourquoi ? Que m'arrive t-il ?
Quel est cet appel qui m'est lancé ? Car c'est sans la moindre assurance que je m'imagine en être le destinataire. Sa détresse m'invite à voir plus loin qu'une ordinaire fantaisie, un songe ni plus ni moins qu'érodé par la nature de son réalisme. Son visage radieux ne saurait mentir le mal qui la ronge, un acide virulent dont le cri d'épouvante n'inspire rien d'autre que le silence dans lequel il se noie. Quelle épouvantable impression..
Je ne pourrais m'y refuser plus longtemps, mon repos est désemparé de son habituelle quiétude, les soirs n'ont plus leur tiédeur quotidienne et rassurante.
À la fenêtre, un frisson s'empare de ma chair tandis que flouté, mon regard s'aventure bien au-delà des lueurs de la ville en quête de réponses.
Oui. Désormais, la nuit m'effraie.
Non ibo quiete in noctem :
Notre fuite les a menés droit à nous, sans doute en avait-il été préparé ainsi, la ruse semblait trop parfaite pour n'être d'un malheureux hasard. Cinq, peut-être six, ou bien plus, je n'ai pas su m'en rendre compte avant cet instant.
La pièce est la réplique même que celle qui m'a hanté ces dernières semaines, sa voix a la même odeur, son parfum le même son. La confrontation prend place au coeur de cet opéra aux planches ternies par le temps, presque noires, comme l'encre qui couvre le ciel par cette nuit nuageuse.
Je ressens sa peur traverser ma main, contre quoi elle se tient fragilement de toutes ses forces, une larme retombe sur la veine de mon cou, l'assaut est imminent. Je rejète un premier sort d'un revers pour accueillir immédiatement le second d'une tranche de ma baguette. Les volutes magiques se grisent en un électrisant spectacle de lumières immatérielles et d'éclats sonores alors que tout près, une planche cède sous le poids d'un nouveau maléfice pour me faire perdre tout équilibre.
Je perd sa main à l'instant même où je trébuche par l'avant et lui abandonne par la même occasion la protection que mon pouvoir offre, si seulement ça avait pu en rester là..
J'essuie mon front pour dégager la chevelure qui s'y fond et dans un râle, j'assiste impuissant à la décharge verdâtre qui éclate sur elle, son corps se raidit, et enfin vient son mystérieux sourire, celui qui vide ses yeux de toute vie pour la laisser inerte à mes côtés.
J'ai échoué, un sentiment misérable m'envahit et toute raison cesse d'exister pour un temps, celui que nécessite l'esprit pour abandonner son propre dégoût. Sitôt après, une houle colérique s'empare de mon être, j'avais pourtant juré de ne plus l'en laisser faire. Un juste courroux s'apprête à s'abattre contre mes opposants en la présence d'un brasier ardent, une vague de destruction qui se déverse en une fontaine de lumière aussi aveuglante que le soleil. Je crache toute ma rage pour ne finalement plus produire le moindre son et céde littéralement à la furie de son sortilège; puis tout s'est arrêté.
J'observais ces hommes à terre, calcinés, puni à la mesure de leur offense tandis qu'il m'était à nouveau possible de voir normalement, je n'avais pas encore le courage de baisser mon regard vers elle..
Je l'ai déjà rêvé, je sais quelle vision m'attendait.
Une beauté éteinte, je contemple sans maudire les fruits de ce désastre. Pourtant elle semble heureuse.
Quatre-vingt années se sont succédées depuis, mais la nuit n'a rien perdu de son horreur.
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