"La nuit s'avançait. J'aperçus le ciel et les étoiles et un peu de verdure.Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par là. Je naissais à cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j'apercevais. Tout entier au moment présent, je ne me souvenais de rien; je n'avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m'arriver, je ne savais ni qui j'étais où j'étais; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiètude. Je voyais couler mon sang comme j'aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m'appartint en aucune sorte. Je sentais dans tout mon être un calme ravissant auquel chaque fois que je me le rappelle je ne trouve rien de comparable dans tout l'activité des plaisirs connus.
On me demande où je demeurais; il me fut impossible de le dire. Je demandais où j'étais; on me dit à la 'haute borne'; c'était comme si l'on m'eut dut ' au mont atlas'. Il fallut demander successivement le pays, la ville, le quartier où je me trouvais. Encore cela ne put-il suffire pour me reconnaître, il me fallut tout le trajet de là jusqu'au boulevard pour me rappeler ma demeure et mon nom."
Jean-Jacques Rousseau, Rêveries du promeneur solitaire, Deuxième promenade.
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