*** Leather Strip - The Shame of a Nation ***
La Dernière
Je suis la dernière qu'il vous reste.
Je vous accompagne, du matin jusqu'au soir. Je suis tapie, vigilante, dans vos rêves putréfiés. Vous avez appris à ne plus me voir - cela ne veut pas dire que je n'y suis pas.
Lorsque vous vous levez le matin, sur les barreaux de votre lit, je suis là. Sur les volets que vous ouvrez, ravis de voir le soleil pointer à l'horizon, sur les gonds grinçants de votre porte, je suis là.
Lorsque vous vous mettez en route pour une nouvelle journée de travail, le front soucieux et les lèvres dures, je vous souris. Vous m'ignorez - j'ai l'habitude.
Sur les essieux de votre voiture, sur les cercles de fer qui bordent les arbres emprisonnés, sur les murs des immeubles - longues traînées noires dans le ciel - sur les marches d'escalier que martèlent chaque jour des centaines de pieds essoufflés, je suis là.
Je suinte de vous.
Non pas que cela soit mon bon plaisir. Je suis, après tout, votre créature. Je suis l'humus de vos forêts urbaines. Je suis partout. Pas un pas que vous ne fassiez sans que je sois dans votre dos, haletant contre votre ombre. Pas une porte que vous ne poussiez sans que je ne vous fasse de l'oeil. Vous ne me voyez pas. Vous ne voulez pas me voir. Je crois que je vous fais un peu peur, comme un monstre enfanté par mégarde qu'on ne saurait tenir en laisse plus longtemps.
Sous vos brillantes affiches publicitaires, je suis là. Dans les sourires aseptisés qui grouillent sur vos postes de télévision, je suis là. Derrière les couleurs vives, derrière les corps lisses, derrière cette perfection que vous idolâtrez avec des frissons de panique, je suis là, toujours. Et je suis encore là quand grincent les hauts-parleurs, quand se craquèle le vernis des temples, quand la lumière s'éteint le long des rames du métro.
Je suis votre seule vraie amante, je lèche vos pieds tous les jours. Vous ne me remarquez pas. C'est vrai : je fais partie de votre quotidien, je suis une horreur à laquelle on ne pense plus. Une plaie éternelle, béante, que l'on s'empresse d'oublier.
Pourtant, j'en ai peints, des hurlements sur vos murs.
Vous passez sans un regard devant mes multiples portraits. Vous me frottez pour me faire taire, ou bien vous m'enfermez derrière des images lisses et fausses. Parce que me voir n'est jamais agréable. Vous avez honte de moi, je crois. Même quand je soufflette vos joues, même quand je crache mon rire de métal sur votre figure, sous vos doigts soyeux, vous persistez à m'ignorer.
Je me suis habituée. Je suis indulgente. Parce que j'ai tout mon temps.
Je suis la dernière qu'il vous reste.
Je suis Rouille.
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