loreen78 (clôturé)
il y a 5 ans
Citation de na0-le-vrai
Italien. Il était Italien!
Comme La Pie restait sans voix, il lui proposa, à nouveau en anglais, d'accepter de prendre un café avec lui, pour que la signora puisse se remettre de ses émotions.
Et voilà !
Première rencontre tant attendue avec Volonte, Mastroianni, Fellini et Visconti réunis !
Après avoir décliné l'invitation, La Pie décida de rentrer.
Dans sa hâte, quelques copies lui échappèrent des mains.
Cette journée était maudite.
L'Italien, qu'elle aurait voulu envoyer au diable, l'aida à récupérer les feuilles éparpillées sur le sol.
Elle remarqua ses mains, petites et grassouillettes, des doigts épais, couverts, eux aussi, de taches de rousseur.
Le sourire par lequel elle le remercia, aurait du conclure la rencontre.
Que pouvait il à son aspect physique ?
La Pie était censée enseigner la tolérance.
Les aveugles sont-ils mieux intégrés parce qu'on les rebaptise non voyants ?
Elle reconnaissait qu'elle excluait d'emblée cette "personne esthétiquement défavorisée".
Il avait beau être très soigné, son élégance soulignait davantage ses défauts corporels.
Non, vraiment, non, même pas par curiosité !
La Pie lui tourna le dos, se dirigea d'un pas rapide vers la sortie, pour regagner à pied la rue de la Roquette.
Marcher lui ferait du bien.
En haut du boulevard Saint Michel, l'homme était toujours là.
Il la suivait à quelques mètres.
Bien sûr, si Bertrand avait été là, ça ne se serait pas produit.
Cet avorton, cette cravate en soie et ces mocassins italiens, ces yeux de merlan frit et cette hideur ne se seraient pas incrustés.
Quel culot !
Quant à Bertrand, c'était un salaud, il n'y avait rien à attendre de lui.
Excédée, elle fit volte face et d'un signe énergique, invita l'Italien à cesser de la suivre.
Il sourit et continua dans son sillage.
Elle avait beau marcher vite, elle n'arrivait pas à le semer.
Fichue aussi ma balade ! Quel emmerdeur !
Un instant, elle pensa entrer au musée du Moyen Age, récemment rénové.
Elle n'y avait pas mis les pieds depuis son enfance. Ce serait une bonne occasion.
La Dame à la Licorne...
Mais toute cette statuaire gothique...
Non, il faisait trop beau.
Elle constata que le crampon était toujours derrière elle.
Après tout, si ça l'amusait. Le monde est mal fait, décidément.
Et ce pauvre homme aussi.
Peut être a-t-il le caractère le plus charmant du monde ?
En tous cas, il n'a pas de complexes.
Pourrait-on imaginer l'inverse ?
Une femme laide qui se mettrait à suivre un bel homme ?
Une femme, belle ou non d'ailleurs, peut elle suivre ostensiblement un homme dans la rue ?
La Pie en repéra un qui déambulait devant elle.
Sa démarche et la silhouette, vues de dos, lui plaisaient.
Elle mit ses pas dans les siens, tandis que l'Italien continuait sa filature.
Voilà qui était amusant.
Bertrand…
Ça suffit, avec Bertrand ! C'est terminé !
Si je l'appelais ?
Il y a justement une cabine téléphonique et personne dedans.
Peut être que ? Zut ! Où est passé celui que je suis censée suivre ?
Un groupe de jeunes touristes remontait le boulevard.
Il était passé au milieu d'eux.
Quelques secondes d'inattention, elle l'avait perdu.
Il avait dû tourner vers la place Saint André des Arts.
Peut être que lui aussi avait une vilaine figure.
Non, Bertrand, c'est bien fini !
Que ce dimanche était triste dans les rues animées de Paris, avec les terrasses de café bondées, et ce soleil insolent.
La gorge serrée, La Pie traversa le quai et s'attarda à regarder la Seine.
L'Italien vint s'accouder près d'elle.
Elle l'avait oublié celui là. Impossible de s'en défaire.
Une véritable arapède !
Arapède, mot méridional désignant un mollusque gastéropode, avec une coquille de forme conique, et qui adhère si fortement à la paroi des rochers qu'il est difficile, sauf si l'on est habile et équipé d'un couteau à lame fine et tranchante, de l'en détacher.
Dans son enfance, elle avait passé des heures sur les plages de Bretagne à en pêcher.
Arapède, c'était ce mot qu'employait Bertrand, quand il la trouvait collante.
Ce souvenir lui noua l'estomac.
En voilà assez ! explosa t elle. C'est ridicule.
Cessez de me suivre comme ça ! lança t elle en français à l'Italien qui, souriant aimablement, ne la quittait pas de son regard splendide, troublant même si l'on se laissait capter.
Il débordait de bons sentiments.
Elle reprit sa course, toujours suivie de son admirateur.
Tout lui échappait, il n' y avait rien à faire.
Arapède… disait Bertrand.
Au bord des larmes, elle accéléra encore, longeant le quai du Marché Neuf, et se retrouva sur le parvis de Notre Dame, grouillant de touristes débonnaires.
Un vieux monsieur nourrissait des moineaux qui venaient lui manger dans la main, sous l’œil fasciné de petits enfants.
L'Italien ne s'était pas laissé distancer.
Ne sachant plus quoi faire, elle se retourna et faillit se mettre à hurler.
Il restait là, gentil, têtu.
Alors, au lieu de faire un scandale, La Pie s'approcha du petit homme au visage de boxeur et aux yeux langoureux, posa sa tête sur son épaule secourable.
Les sanglots affluèrent.
Ils semblaient ne jamais devoir prendre fin.
Les gens s'attardaient devant l'étrange couple.
L'Italien, tout raide, se risqua à quelques paroles de consolation :
Poverina ! Nô piangere !
Il était tout ému et se disait qu'il était arrivé à ses fins, de façon certes inattendue, mais enfin sa ténacité avait fini par payer.
Elle ne le voyait plus derrière ses larmes.
Elle écoutait sa voix chaude et agréable, cette musique italienne et réconfortante.
Après de longues minutes, dans les hoquets, elle essuya comme elle put les traces noires de son maquillage, refusant le grand mouchoir de fine toile blanche qu'il déplia avec soin avant de lui tendre, et réussit enfin à articuler :
"Grazie mille, signore, grazie !"
Les nœuds qui lui enserraient la gorge et l'estomac avaient disparu.
Que l'air était soudain léger !
"Ma, lei parla italiano, Signorina ! Aspifi per favore, aspeti"
Soulagée de son chagrin, La Pie se mit à rire, embrassa son consolateur sur les deux joues et s'enfuit à toutes jambes, plantant là, sur le parvis de Notre Dame, Quasimodo, abasourdi et dépité.
j'ai hâte de connaitre la suite!
et comme j'ai lu ceci, je confirme :
je suis ta plus grande "fan"... enfin, la 2e surement... sourire
certains pensent qu'ils sont les seuls à savoir écrire mais je maintiens que, dans un autre style, tes fables sont aussi délicieuses à lire.
et je sais ne pas etre la seule à les apprécier :)
bonjour na0