L'accès au théâtre était bloqué par des milliers d'autres sorcières venues payer un tribut à la prêtresse sacrificielle.
Curieusement, le concert se tient dans un modeste théâtre à l'italienne, au classicisme importun.
Je me sens rasséréné par l'aspect familier des marches conduisant aux guichets tenus par de revêches personnes âgées.
Ce n'était pas vraiment ce que j'attendais.
Mais tant que mon incandescente compagne reste de bonne humeur, je ne vois pas de raison de m’alarmer.
Citation de onenri
Si seulement elle avait été seule...
L'accès au théâtre était bloqué par des milliers d'autres sorcières venues payer un tribut à la prêtresse sacrificielle.
Curieusement, le concert se tient dans un modeste théâtre à l'italienne, au classicisme importun.
Je me sens rasséréné par l'aspect familier des marches conduisant aux guichets tenus par de revêches personnes âgées.
Ce n'était pas vraiment ce que j'attendais.
Mais tant que mon incandescente compagne reste de bonne humeur, je ne vois pas de raison de m’alarmer.
Le plaisir d'assister aux trémoussements froids et multi chorégraphiés de la vedette du jour est réservé à une élite qui doit s'en montrer digne.
Ma main cherche encore les billets dans la poche de ce cuir usé qui me va si bien, dans lequel je me sens si bien, lorsqu'un gang de vieillards vient m'expliquer que de nombreux vrais fans n'ont pu avoir de billet, que je serais bien avisé d'accepter de leur vendre le mien.
Sylvie, en fidèle adepte, me tance d'un regard vert sombre pour me convaincre de l'inconvenance de toute résistance.
Je ne regrette pas cette éviction en dépit de son caractère injuste.
Le café le plus proche du théâtre me parait aussi attractif que le concert.
J'ai déjà passé de nombreuses heures seul dans des établissements bien moins attractifs.
À une époque de ma vie, certains événements m'avaient contraint, plus souvent que de raison, à y chercher des profondeurs et des audaces dont l'absence, ailleurs, me pesait.
J'y avais développé une amitié profonde avec le ti’punch.
Lui et moi avons assez vite cessé de nous combattre, notre alliance s'est révélée fructueuse à maints égards.
En cette époque où, les uns après les autres, mes amis semblaient devenir simultanément victimes de maux terribles qui les empêchaient de me tendre la main, j'ai fini par croire que la seule loi, toujours respectée, est la loi des séries.
Et j'ai fini par admettre que pour devenir Bukowski, il faut déjà être Bukowski.
Nous sommes deux en comptant le barman, un type moins causant que le zinc qu'il torchonne méthodiquement.
J'enchaîne les verres et commence à m'attacher à l'endroit.
Je coupe mon téléphone portable pour être certain que Sylvie, sortie hystérique et trempée de sa communion satanique, ne viendra pas ternir ces instants trop rares de communion avec le néant.
Je reste longtemps après que le théâtre se soit bruyamment vidé d'une foule glapissante.
La sérénité du lieu à peine rétablie, d'un pas traînant accentué par des tennis plates, entre une cliente mal fagotée.
Plongé dans le ressentiment que j'éprouve à l'idée de partager mon îlot de calme, je mets du temps à reconnaître Miss Tsubishi dans cette gêneuse solitaire.
Ses cheveux mouillés et ternes attirent mon attention.
Je n'aime que les chevelures irradiantes de sensualité.
Elle se tourne vers moi pour me demander dans un français parfait ce que j'ai pris, et commander la même chose en deux fois plus gros, noyé dans la glace.
C'est bien une française, star de surcroît.
Après une intense réflexion, juste ralentie par l'alcool, je lui fais comprendre que je l'ai reconnue, et lui raconte comment je me suis fait virer de son concert, qui d'ailleurs ne m'intéressait pas.
À ma grande surprise, elle commence à m'expliquer qu'elle non plus n'était pas très intéressée par son œuvre, si ce n'est par sa dimension financière, réellement avantageuse.
Elle a gagné ce soir plus que moi dans toute ma vie.
Beaucoup plus.
« Je n'ai jamais vraiment voulu faire ça », poursuit-elle.
«Mes parents, ma mère surtout, aiment l'argent.
Heureusement, ils m'ont laissé finir ma licence de mécanique des fluides.
Je sais, vous allez sourire, avec mon image de pétasse, parler de fluides...»
En effet, je souris, mais pas pour ce qu'elle croit.
Je commence à la trouver touchante.
Et à force de travail, les chirurgiens ont réussi à faire d'elle une vraie Galatée.
Sauf que ses pygmalions ne la lâcheront pas de sitôt.
Pactiser avec un ennemi honni n'est pas mon genre.
Je ne vais pas abdiquer si vite, jeter au feu Barthes, Kierkegaard et Casanova pour un produit de grandes surfaces.
C'est l'heure du combat, de la vengeance.
Après une nouvelle gorgée de nectar, je lui balance qu'elle ne comprend rien à la sensualité, ni à l'érotisme.
«Si tu crois qu'il suffit de te tortiller vêtue de fringues déchirées par les dents de Kenzo pour susciter le désir, tu te trompes aussi lourdement que tu danses.»
Elle me répond avec tristesse que la lourdeur était celle de l'industrie du disque, et que personne ne lui a jamais demandé son avis.
Sa voix basse trahit une émotion qui ne figure peut-être pas dans son manuel de comportement, ni dans les notes de service de sa maison de disques.
Je pense que ce n'est peut-être pas drôle tous les jours d'être une boîte de sardines bretonnes*** vivantes promises au dernier rayon des linéaires blafards de la sous culture occidentale.
Mais la vie était rarement douce à ceux qui l'aiment, il n'y a là rien de bien nouveau, et elle bénéficie malgré tout de considérables compensations.