Description
Oona de Melnibonée
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-"Oh que si Oona... Fait le, embrasse ton destin, viens à moi. Tu ne peux pas lutter, tu n'es qu'un pantin entre mes mains."
-"Fou que tu es, tu ne me tiendra jamais en laisse, j'accepte ce pouvoir et cette charge mais comme mes prédécesseurs jamais tu n'en jouira. Je suis le Champion Eternel, Oona, souviens toi de mon nom, Maudit, car c'est celui que tu prononcera avant de passer à trépas."
"Tu dois comprendre. Lorsque la personne dont le métier est de jouer avec la mort commence à tenir à la vie, cela le rend faible. Et dans ma faiblesse, j'ai peur pour toi..."
Ses index, blancs longs et noueux massaient ses tempes bleuies par le sevrage, elle n'avait pas la force de lever les yeux sur la silhouette lui faisant face.
"Je m'en veux... Je m'en veux tellement. Tu es si... Fragile."
Elle s'avançait un peu, le pas mal assuré et s'agenouillait, le soupir étouffé par un sourire triste. Une main baguée se glissait jusqu'aux boucles brunes masquant le visage de son interlocuteur muet. Du pouce, l'Impératrice essuyait le peu de salive s'écoulant des lèvres tordues par les spasmes de son frère, recroquevillé sur lui même, contre le mur froid de la pièce.
"Tu me rends... faible, oui c'est cela, tu m'affaiblis, tu me détourne de mes buts premiers, tu es le remord, le regret, la honte et la culpabilité... Serais tu ma conscience petit frère? Si tel est le cas..." Sa phrase restait en suspens alors que son seul bras organique et frêle venait entourer les épaules malingres de son jumeau. La Rouge entonnait déjà un chant aux accents mélancoliques, si rassurant aux oreilles de son reflet rongé par la bâtardise.
" Andhe muyma, mandhee royah kelouhmh 'shar ovhayi tan' ssandaloh vihomy 'lashovo tan'ssandaloh vihomy 'lashovo" A mesure que sa voix tremblante prenait en assurance pour étouffer les gémissements de son frère, son avant-bras lui écrasait la trachée. Les vaisseaux sanguins éclataient, donnant aux prunelles de l'agonisant une légère teinte pourpre. Il bavait, sa langue pendait lamentablement hors de sa bouche, et ses bras, trop grands, trop maigres pour ce corps maladroit battaient vainement l'air, à la recherche d'un appui, les jambes, elles, aux articulations saillantes étaient secouées par les spasmes.
Mais bien vite, la mort rattrapait cette créature impotente. Lâchant enfin prise, la rouge se laissait glisser vers les dalles du sol, posant sa joue sur les cuisses crispées de sa reflection imparfaite. Elle ne pleurait pas, légitimant cette action atroce par une charité hypocrite. Elle venait de lui donner la mort pour la seconde fois. Silencieuse, elle caressait l'étoffe des pantalons de son frère, se remémorant leur enfance.
"Tu aurais fait la même chose." finit elle par souffler,à la recherche de sa pipe à opium.
Dos au sol, elle craquait une allumette contre la joue blème de son jumeau, portant la flamme jusqu'au petit fourneau de métal de sa pipe. Les sentiments et ressentiments se mêlaient, affluaient en son coeur, en son crâne, cognant contre son enveloppe charnelle pour s'échapper de ce fourreau d'amertume. Elle avait conscience que cette colère latente lui rongeait le corps bien plus que les tares rongeant son sang, pourtant elle tâchait d'y remédier, se rachetant une seconde virginité. Elle faisait acte de pénitence, pugnace, se donnant corps et âme à son prochain, pourtant, elle venait à l'instant de prendre la vie d'un être, vie aussi pitoyable était elle, et à son propre frère.
Une décision mûrement réfléchie... Elle ne pouvait se consacrer pleinement à sa tâche en ayant ce poid sur la conscience. Il n'avait jamais été que l'ombre d'elle même, un légume, une coquille sans âme. Pourtant, alors qu'elle venait de lui faucher la vie, elle comprennait ô combien toute vie était précieuse. Il n'avait jamais su formuler la moindre phrase, il avait même du mal à marcher ou à se nourrir seul, mais était il malheureux? Que la douleur était grande, aussi lourde que son erreur, il était maintenant trop tard, plus jamais elle ne verrait son frère sourire. Bienheureux les ignorants, déjà enfant elle lui enviait son statut de retardé, lui dont la peau était aussi brune que la sienne était blanche, lui dont les yeux et boucles étaient aussi noirs que le jais, alors que les siens avaient l'écarlate du rubis. Il était l'humain, elle la melnibonéene, il était l'innocence, elle était le vice, lui qui ressemblait à sa mère, elle qui ressemblait à son père. Alors que tous les jupons virevoltaient autour de ce chérubin au regard doux, c'était la rudesse des assassins et militiens de l'Oasis qui attendait Oona. Lui n'avait qu'à sourire, lui n'avait pas à souffrir de la solitude, lui n'avait pas à se soucier de leur avenir, puisqu'elle veillait sur lui. Entendait-il les quolibets dont on l'affublait? Oona, elle, était chaque jour victime de la ségrégation, du racisme du peuple de sa mère, tout comme de celui de son père.
"C'est probablement à cause de notre gémélité... Je ressens un certain vide en moi... Je ne sais pas pourquoi petit frère, mais je me sens coupable et à la fois soulagée de cette situation. Je pensais que tout s'éclaircirait avec ta mort, qu'enfin je pouvais tourner la page. Il faut, il me faut tourner la page. Melnibonée n'est plus, j'ai veillée à ce que nul ne puisse mettre la main sur le trône de Rubis. Il est possible que je regrette un jour cette décision, mais il fallait que notre lignage s'arrête avec nous." Elle lui chuchottait ceci sur le ton de la confidence, faisant ses confessions à l'âme enfin liberée de ce carcan de chairs malades. Ses doigts se crispaient sur son bas ventre, qu'elle dénudait, révelant au yeux exorbités de son frère une mince balafre gonflée et rougie.
"J'ai fais tout le nécessaire petit frère, nous serons les derniers..."
Dans un monde où la femme n'est que matrice, c'était un outrage à la nature que de rejeter en bloc la maternité.
"Oui, les jeunes royaumes pourront prospérer en paix, mon travail ici est achevé. Je me dois maintenant de terminer ma quête... Je retrouverais Arioch pour mettre fin à cette mascarade, au diable les dieux, ils mourront de la main de l'Homme. Plus jamais les peuples n'auront à craindre de ces entités, plus jamais ils n'auront à remettre leur sort dans les mains de quelques élus. L'homme est l'avenir de l'homme, mais aussi son plus grand ennemi, pour cela, rien à faire... Je retrouverais les trois derniers champions... Je mourrais probablement oui, je vous rejoindrais, toi et père, mais qu'importe la mort, mes idéaux eux survivront par delà les temps et l'espace. C'est pour cela que je suis née, venger les justes, venger mon père, tordre le cou à ses créatures jouant avec les hommes comme avec des pions... Qu'importe la mort petit frère..."
Mains dans les mains, elle observait ce que les batailles avaient fait d'elle. Elle était encore si jeune, à peine femme et déjà mutilée par la folie, par la haine des hommes. Son corps n'était plus que plaies, aussi triste que celui du vétéran. Une jambe et un bras emportés par les armes, le corps et le sang affaiblis par la bâtardise, elle ne voyait presque plus, mais qu'importe, plutôt perdre la vie pour ses desseins que de survivre, impotente, à l'ombre des tyrans. Pourtant, jamais elle ne se plaignait à ses compagnons, jamais Oona ne laissait voir ô combien chaque pas était douloureux. Il existait bien une solution pour pallier à ses handicaps, mais l'idée même la faisait frémir, ce serait renier ses convictions, parjurer le serment qu'elle s'était fait. Mais après tout, si cela pouvait l'aider à surmonter l'adversité. Non, il faudrait pour cela ramper devant l'innomable, il faudrait reproduire l'exemple paternel. Plus jamais Arioch ou d'autres dieux ne se serviraient de son nom... Pourtant, l'Epée, elle en avait tant besoin. Chaque jour, chaque nuit se livrait bataille en son coeur. La fusion avec l'Epée était possible, c'était là le seul moyen d'anéantir les champions. Elle n'était plus totalement humaine ni même totalement melnibonéene. A moitié organique, à moitié metallique. Plus son corps subissait les outrages du métal et moins elle n'émettait de résistance lorsque sa conscience lui soufflait l'envie de se saisir de l'épée du Chaos. Les signes s'amoncellaient... Non, elle ne devait pas...
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L'enfant se tenait la joue, les yeux rivés sur le sol poussiéreux et les pieds de la grande femme brune. Les mots étaient plus blessants que la giffle; sentant les larmes affluer aux coins de ses yeux rouges, la petite créature blanche esquissait un geste de fuite.
-"Combien de fois petite saleté t'ai-je dis de ne pas t'approcher de ma tente? Que veux tu dis moi? Manger? Tiens, prends donc ça..." Elle lui jettait le fruit pourri et le morceau de pain rassis comme elle lui jettait sa main au visage, l'instant précédent.
Le fruit venait d'éclater contre sa tempe et la gamine à la crinière blanche se composait un nouveau visage, fusillant, provoquant sa mère du regard, ultime recours face au rejet de la femelle. Dame Oone se sentit defaillir cherchant un appui dans les cordages de sa tente, elle allait vociférer de nouvelles menaces mais sa fille avait déjà disparue.
-"Pourquoi ne m'aime-t-elle pas ma maman?" demandait l'enfant à la femme voilée assise à ses côtés.
La sage Varadia lui tapotait le crâne de manière affectueuse, espérant ainsi adoucir l'incroyable impact de ses mots:
-"Parce que tu ressembles à ton père ma petite... Parce que tu es la seule chose que le Loup Blanc nous à léguer, puisque tu es le destin de ton père... Ne sois pas trop dure avec ta mère... Une femme trahie et abandonnée peut perdre la raison et haïr ce qu'elle chérit le plus."
-"C'est vrai que mon papa il est mort? C'est vrai que mon papa c'était un méchant hein, et que c'est pour ça que je suis malade?" Elle rongeait son morceau de pain, le gardant en bouche le plus longtemps possible pour faire s'amollir la mie.
-"Vois tu Mand...Vois tu mon enfant, pour chaque créature existe une vérité. Tu dois t'y préparer, nombreux seront les hommes et les femmes qui te traiteront comme ta mère le fait, nombreux seront ceux dénigrant ton auguste père, mais sache petite princesse qu'Elric m'a sauvé la vie et t'as donné la tienne...Tu n'es pas comme les autres enfants, non pas à cause de la couleur de ta peau ou de tes yeux non, tu es ma petite perle, tu es née dans les songes... Autant la destinée d'Elric fût grande, autant la tienne sera extraordinaire."
La gamine allait répliquer, le regard humide mais déjà deux hommes massifs venaient projeter leurs ombres sur son visage de pierrot lunaire... L'entraînement devait reprendre...
Sur sa paillasse, dans ce camps de fortune aux abords de la Capitale dévastée, Oona se remémorait avec douleur et nostalgie les paroles de cette sainte, gardant entre ses doigts frêles la perle que Varadia lui avait offert peu avant son départ de l'Oasis.
"Déjà dix ans." soufflait elle en écartant un pan de sa tente pour perdre son regard las sur la lune. La nuit était déjà bien entamée et son escouade sur le point de prendre la grande porte de la ville.
Il ne restait plus rien de la magnificience, de la gloire de cette civilisation, elle n'était plus que l'ombre d'elle même... Oona respirait profondément, lentement, regardant une dernière fois le portrait de son père ornant un pan entier du mur de ce couloir. Elle ne pouvait plus reculer... Et c'est l'adrénaline battant dans ses tempes qu'elle ouvrait les portes de la salle du trône, faisant sursauter, tirant de leur torpeur les plus fats des survivants. A mesure que ses pas et ceux de ses mercenaires retentissaient dans cette salle aux couleurs de sa patrie, sa capuche quittait son chef pour se loger sur ses épaules, révélant, sous les cris d'effrois et d'offuscation son vrai visage. Quelques dames s'évanouissaient, pensant être en présence d'un spectre, d'autres, plus téméraires, tiraient leurs armes des fourreaux, se postant devant le trône de rubis. Oona levait une main blanche, intimant le calme à ses soldats, et se pour s'approcher encore plus des derniers rejetons de son peuple.
-"Je viens récupérer ce qui me revient de droit... Foutredieu, mais vous vivez dans un luxe et une opulence hors du commun... Et tout ça pour quoi? Pour des orgies... Et votre cité? Et le rêve de mon père? Est ce là toute votre gratitude pour le sacrifice d'Elric?"
Les bras écartés, de part et d'autres du corps, elle tournait sur elle même pour donner plus d'impact à son discours... Et elle le vit... Dhoz-Laak, arbalète au poing, la tenant en joue. Lui, son compagnon... Son index appuyait sur la gâchette et le premier carreau venait perforer le plexus solaire de l'albinos. Elle ne sentit pas vraiment la douleur alors que son corps chutait vers l'arrière, tant l'incompréhension était grande. La seconde puis la troisième rafale de flèches la faisait choîr, en une posture de martyr. Pourtant son bras se tendait vers son bourreau, ses doigts cherchaient à hâpper cette silhouette déjà lointaine. Elle ne contrôlait plus ses muscles, bredouillant un pathétique "Pourquoi?" mais c'était la fin... Ses hommes la prennait par les membres, pour jeter son corps dans les douves.
Elle se redressait en prennant une grande et bruyante inspiration, une main sur le front.
"Un rêve..." murmurait elle, encore fébrile "Ce n'était qu'un rêve"...
-"Pourtant, tu ne peux pas rêver ma jolie..." La voix semblait lointaine et étrangement proche à la fois, comme venant de partout à la fois.
Les yeux de l'albinos s'habituaient peu à peu à l'obscurité, et elle pût constater qu'elle n'était pas aux portes de la Cité. A mieux y regarder, elle ne pouvait toutefois pas discener clairement si elle était à l'intérieur ou à l'extérieur. Il ne faisait ni chaud ni froid dans cet endroit, ni trop sec ni trop humide. Elle osait un pas, hélant un hypothétique interlocuteur. A chacun de ses pas sur ce sol apparement intangible naissaient des volutes aux couleurs criardes. Elle ne savait si elle avait fait dix mètres ou dix kilomètres tant elle ne trouvait de repère ici bas. La voix maintenant venait de derrière elle, et lorsqu'elle se retournait, il lui faisait face. C'était là un homme à la beauté éthérée et irréelle, mais aux traits melnibonéens. Avant même qu'elle ne put formuler la moindre phrase, il lui prennait le poignet pour déposer un baiser au dessus de sa main.
-"Ravi de te rencontrer enfin ma petite... Oh oui je sais, tu dois te demander qui je suis...Tu ressembles tant à ton père ma petite... Je suis Arioch ma chère, Duc des Enfers, Seigneur des Sept Ténèbres et Chevalier des Epées... Oui oui lui même, en personne... Oh... Ma petite, mais quelle est cette tenue?" presque paternaliste, il lui ébouriffait ses tresses blanches en lui montrant, du menton, les flèches logées dans son corps.
-"Non, ne me remercie pas, je saurais te faire t'acquitter de cette dette, mais avant cela ma jolie, tu vas te venger, tu vas nous venger, ton père et moi.T t t t... Pas de manières, ne résistes pas, tu n'as pas sa force de caractère."
Une main sur son épaule pour maintenir son corps, il lui arrachait un à un les carreaux, arrachant aussi au passage ses scrupules, ses doutes et sa volonté.
Alors que tous festoyaient au sein de la cité, croulant sous le vin et les femmes, une chose émergeait des douves, sous les regards apathiques des traîtres mercenaires.
Il eut bien quelques cris, mais seule la venue d'une vigie amputée d'un bras les alarmaient. Il était en proie au délire, hurlant qu'elle allait tous les tuer.
Ombre blanche et furtive, elle était nue, portant pour tout vêtement le sang des traîtres et comme bijoux ses lames courtes et courbes. Marionette aveugle, uniquement guidée par sa haine, la Blanche décimait à tour de bras, sans désserer la mâchoire.
Il n'en restait qu'un, impuissant face au massacre de ses frères; Dhoz-Laak... Il fût désarmer en une seule passe d'arme. Acculé au mur, il tremblait, pleurait, implorant le pardon de la créature d'Arioch.
-"Tout ça pour l'or mon amour?" Son visage crispé retrouvait ses traits doux et mélancoliques alors qu'elle lachait une de ses lames pour lui caresser la joue. "Je t'aurais offert tout l'or, tout le pays... Tout Dhoz-Laak..." Sa main qui était jusque lors aussi légère qu'un oiseau devenait étau sur la gorge de son amant, le soulevant quelque peu du sol. Elle l'embrassait doucement, plaquant sa lame restante contre sa carotide, murmurant un dernier adieu. Le corps s'affaissait, orphelin de la tête, encore contre les lèvres de l'Albinos.
Son cri fit trembler la cité sur ses fondation et frémir le Duc sur son trône. Les mains jointes sur son front, elle était en proie à l'hystérie, pleurant, hurlant, se débattant au sol contre des démons invisibles. Son sang se mêlait à celui de ses victime sur le sol carrelé de la salle du trône, elle baignait dans sa honte et sa culpabilité; gardant en son sein la tête de son amant mort. Délire mystique, sa main était guidée par celle d'Arioch alors qu'elle se tailladait le corps et le visage, mutilant et ornant sa beauté métissée d'arabesques qu'elle imprégnait du sang de sa race et de son amour. Un jour, dix jours ou peut-être un mois passèrent avant qu'elle ne s'éveille... La Blanche était devenue la Rouge en une nuit, abusée comme son père le fût, des années auparavant. A trop baigner dans le sang, ses cheveux gardèrent la couleur du péché, et comme souvenir de cette nuit, les tatouages rongeant sa peau comme le remord rongeait son sang...