Cette nuit-là, assis dans son semi-remorque de plus de 3,5 tonnes depuis l’aube, le gros Dédé roulait vers le sud de la France. Direction Bordeaux. Il était parti de Rotterdam vers 4hoo du mat avec un chargement d’authentiques tonneaux dits « fûts-de-chêne », de fabrication 1oo% made in China, et importé par containers entiers via un supertanker appelé le Rabur-Marto.
Il avait crevé 2 fois. Incroyable. Sale journée. La première en arrivant à peu près au niveau de la frontière française, juste après. Putain de pays à la con ! qu’il gueulait, tout seul. Et la seconde en arrivant à la hauteur de Paris. Macron enculé, qu’il s’était énervé, le Dédé. Saloperie de bordel. Et voilà, plus de 7 heures de retard qu’il avait maintenant.
Le vieux camionneur se faisait plutôt méchamment chier sur cette conne d’autoroute, il fumait clop sur clop, et ne s’était quasiment plus arrêté. Pas le temps. D’autant que sa bonne-femme l’attendait à Lille. Fallait encore qu’il se retape tout le retour jusque là-haut, nom de dieu.
Il tourna le bouton du post auto-radio, et péta un bon coup : Prrroôôuttt... Ouh, la vache, ça fait du bien, souria-t-il. C’était une émission genre la Dramatique de Minuit sur France-inter ou quelquechsose comme ça, un épisode où on racontait l’histoire d’une fille dans la forêt enlevée sur un forum de discussion par une bande de faux arnaqueurs africains blancs à cause d’une enveloppe de papier kraft et d’un cliché tout noir en filigrane – du grand n’importe quoi. Bref, de la merde. Il zappa et tomba sur deux gars qui discutaient entre eux d’un certain Rimbaud et de son amant Verlaine, et que patati la poésie c’était comme çi, et que patata les poètes c’était comme ça, mais que oui mais non passque quand même on pouvait pas dire que nanani ou que nanana, ou alors si, mais pas toujours et seulement au cas où ceçi-cela, et puis que blabla-bla. Ouhla, stop. Bon. Il essaya une autre station. Mouais, bof. Ça parlait d’art contemporain. Personne n’y comprenait rien, mais c’était bien, paraît-il. Voir ici : https://www.smail.fr/forums/coin-detente/banksy Dédé coupa court. Basta. Il mit son clignotant à droite, jeta un coup d’œil au rétro et déboîta lentement. Une station service avec une aire de repos à 15oo mètres, impeccable. Il s’arrêterait ici jusqu’à demain matin. Tant pis pour l’horaire, se dit-il. Chuis fatigué, là.
Citation de duschnock
Cette nuit-là, assis dans son semi-remorque de plus de 3,5 tonnes depuis l’aube, le gros Dédé roulait vers le sud de la France. Direction Bordeaux. Il était parti de Rotterdam vers 4hoo du mat avec un chargement d’authentiques tonneaux dits « fûts-de-chêne », de fabrication 1oo% made in China, et importé par containers entiers via un supertanker appelé le Rabur-Marto.
Il avait crevé 2 fois. Incroyable. Sale journée. La première en arrivant à peu près au niveau de la frontière française, juste après. Putain de pays à la con ! qu’il gueulait, tout seul. Et la seconde en arrivant à la hauteur de Paris. Macron enculé, qu’il s’était énervé, le Dédé. Saloperie de bordel. Et voilà, plus de 7 heures de retard qu’il avait maintenant.
Le vieux camionneur se faisait plutôt méchamment chier sur cette conne d’autoroute, il fumait clop sur clop, et ne s’était quasiment plus arrêté. Pas le temps. D’autant que sa bonne-femme l’attendait à Lille. Fallait encore qu’il se retape tout le retour jusque là-haut, nom de dieu.
Il tourna le bouton du post auto-radio, et péta un bon coup : Prrroôôuttt... Ouh, la vache, ça fait du bien, souria-t-il. C’était une émission genre la Dramatique de Minuit sur France-inter ou quelquechsose comme ça, un épisode où on racontait l’histoire d’une fille dans la forêt enlevée sur un forum de discussion par une bande de faux arnaqueurs africains blancs à cause d’une enveloppe de papier kraft et d’un cliché tout noir en filigrane – du grand n’importe quoi. Bref, de la merde. Il zappa et tomba sur deux gars qui discutaient entre eux d’un certain Rimbaud et de son amant Verlaine, et que patati la poésie c’était comme çi, et que patata les poètes c’était comme ça, mais que oui mais non passque quand même on pouvait pas dire que nanani ou que nanana, ou alors si, mais pas toujours et seulement au cas où ceçi-cela, et puis que blabla-bla. Ouhla, stop. Bon. Il essaya une autre station. Mouais, bof. Ça parlait d’art contemporain. Personne n’y comprenait rien, mais c’était bien, paraît-il. Voir ici : https://www.smail.fr/forums/coin-detente/banksy Dédé coupa court. Basta. Il mit son clignotant à droite, jeta un coup d’œil au rétro et déboîta lentement. Une station service avec une aire de repos à 15oo mètres, impeccable. Il s’arrêterait ici jusqu’à demain matin. Tant pis pour l’horaire, se dit-il. Chuis fatigué, là.
ça fait longtemps..
que tu roules en 2 chevaux...?
le monde change sans arrêt..
pipi...
lol.....
Modifié il y a 6 ans, le dimanche 21 octobre 2018 à 04:03
Son camion à peine garé tout à côté d'autres, Dédé descendit de sa cabine pour aller faire un ptit pipi d'ange avant d'aller en enfer, comme il disait toujours, selon une vieille expression de chez lui. Le temps de faire quelques pas, et c'est alors qu'une espèce de petite pédale l'accosta et lui demanda s'il y avait longtemps qu'il roulait en 2 chevaux... Le genre de travelo qu'on trouve dans les chiottes de boîtes de nuits ou sur les parkings à poids-lourds.
Le vieux lui éclata la gueule d'un rien, et lui pissa dessus. L'autre en redemandait, visiblement. Il souriait. Heureux.
Pôv' bonhomme se dit le Dédé, en claquant la porte derrière lui et tirant le rideau.
Au petit-jour, le gros Dédé reprit la route et vers les 9hoo, il arrivait enfin dans la banlieue bordelaise où un beau soleil d'automne brillait déjà dans un ciel bleu clair. Un beau coin à habiter, par ici, songeait-il tout en abaissant un peu sa fenêtre. On l'attendait depuis la veille, de pied ferme, et il se fit donc bien enguirlander comme il faut par le patron de l'entrepôt de livraison, comme un chien même. Puis le vieux routier repartit vers Lille, chez lui, là-haut.
Pendant ce temps, Neil venait de s'asseoir dans l'avion qui s'élançait sur la piste au-dessus de Paris, impatiente de revoir sa chère et intime amie, bonne vieille copine de jeunesse et de folie d'alors. Juste derrière elle, un jeune homme chinois au visage fermé, dur, la regardait, sans trop d'insistance, non, mais avec attention tout de même.
Et encore ailleurs, bien loin de là, sur le site, Maître Robert avait disparu, ne s'étant plus connecté depuis 2 ou 3 jours. Se cachait-il ? Quand au pseudo duschnockdu, il continuait de chercher un moyen de parvenir à ses fins, de trouver une faille dans le système de protection des données de connexion des comptes. Et il y arriverait, il le savait - ou du moins, s'en persuadait-il. Car il existait forcément une clef, quelquepart, ailleurs qu'écrit en toutes lettres dessus le paillasson de notre héroïne depuis la page 1.
Citation de eireen
Neil s'attela à la tâche. D'un des tiroirs de sa commode, elle sortit cahier. Pas n'importe quel cahier non ! Elle prit le cahier aux pages jaunies pas les ans.
Ce cahier était vierge de tous écrits. Tant de fois, elle l'avait extrait de ce tiroir ou il était dissimulé, dans l’attente, à chaque fois fermement décidée, à tracer en ses pages ses secrets les plus intimes, secrets enfouis au plus profond de son cœur. Fébrile, elle sortit sa plus belle plume.
En cette fin de soirée chaude, elle en était consciente, si elle ne se décidait pas à remplir la 1ère page du cahier, " au grand jamais " sa vie ne se modifierait.
- Mesdames et Messieurs, votre attention s'il-vous-plaît ! Le commandant de bord vous informe que nous arrivons en vue de l’aéroport de Notre-Dames-Des-Landes et que nous allons donc amorcer notre descente. Vous être priés d’attacher votre ceinture...
Neil sursauta. Elle s’était endormie. Un peu vaseuse, elle se frotta les yeux, s’étira légèrement et se réajusta. Un coup d’œil au hublot l’enchanta, elle voyait la mer au loin, les étendues d’herbe à vaches en-dessous, les plaines et les champs, les petites maisons, les routes et les forêts. Elle boucla sa ceinture, puis l’avion piqua lentement et perdit peu à peu de l’altitude. On arrivait, enfin.
Derrière elle, le jeune chinois l’observait toujours.
Le corbillard cahota en s'engageant sur la piste d'atterrissage (c'est comme cela qu'elle appelait ce moyen de locomotion, craignant toujours qu'un voyage en avion pouvait etre son dernier voyage, la carcasse de l'engin devenant sa pierre tombale). Neil serra les dents malgré la joie de retrouver un peu de quiétude auprès d'Alice, tout en s'agitant sur son siège ; elle avait ses règles depuis hier et elle détestait se sentir mouillée entre les jambes.
- Ma puce, comme c'est bon de te retrouver, j'ai plein de choses à te raconter
- Oui Neil, mais avant, on va bouffer, j'ai une faim de loup et un nouveau resto chinois vient d'ouvrir et je n'y suis pas encore allée, c'est donc l'occasion d'y faire un tour.
"Chinois ?" ânonna Neil d'une voix étranglée avant de s'engouffrer dans la voiture de sa copine et alors que le véhicule amorçait un virage pour rejoindre la ville, elle jeta un coup d'oeil par la vitre arrière. Il lui sembla que le jeune homme de tout à l'heure était planté sur le trottoir, la regardant partir avec ses yeux morts de teckel bridés...
Modifié il y a 6 ans, le lundi 22 octobre 2018 à 01:42
Le jeune franco-chinois en question tourna à peine la tête de côté, fit un petit signe de la main, et une puissante voiture aux vitres teintées s’arrêta immédiatement à sa hauteur. La portière s’ouvrit et il disparut à l’intérieur. Une grosse bagnole allemande qui s’élança d’un coup et rattrapa presqu’aussitôt la vieille caisse d’Alice et Neil, puis elle ralentit et la suivie dès lors, ni de trop près ni de trop loin.
C’était un petit gang de la mafia « chinetoque » du XIIIe arrondissement de Paris, engagé et payé par de lointains et sombres arnaqueurs-brouteurs africains du Sénégal (via quelques revendeurs de boubous à la sauvette des environs de la place du Tertre à Montmartre et autres ramabouts itinérants du métro aérien ou souterrain, lignes 2 et 4, vers Barbès, ou encore des petites annonces et des foyers de travailleurs immigrés de la banlieue parisienne), pour retrouver la trace de Mr. R., et lui faire la peau. Pour l’instant, leur seule piste était ces deux jeunes femmes.
跟著他們走吧!
那麼,羅伯特大師的消息?*
_______
*Trad.
Han-tian ! Chui an tro huing na-chuiou, Mistel Lobelte ?
Jean-Pierre Phông dit Fanjo, c’était là son nom, voulait savoir si on avait des nouvelles de Maître Robert, mais non. Toujours rien. Plus de connexion depuis quelques jours. Il semblait avoir disparu de la circulation.
Les deux nanas qui ne cessaient de papoter depuis 2o minutes, se coupant la parole l’une l’autre tant elles avaient de choses à se raconter, à demi hystériques, éclatant de rire pour un rien et faisant les fofolles, toute à leur joie de se revoir et se retrouver, s’arrêtèrent devant le restaurant : Au soleil de Shanghaï – spécialités bretonnes, nems, rouleaux de printemps & crêpes au sucre, cidre au bol + saké offert.
La crêperie chinoise était déserte, hormis un couple d’amoureux en train de savourer leur dessert, une coupette de lichees pour lui et un grand verre à pied débordant de glace pistache vanille pour elle, d’où ruisselait jusque sur la nappe en papier un espèce de coulis chimico-synthétique rouge, sanguinolent, parfum fraise ou framboise, le tout surmontée d’un petit parasol violet et jaune. Tous les deux se dévoraient des yeux à chaque bouchée, main dans la main posées dessus la table, se caressant des doigts, lentement, s’entrelaçant d’une manière tendre et douce. Rien qu’à les voir, on sentait que l’après-midi serait chaude et agitée, torride même. Mais bref – ceci est une autre histoire (si quelqu’un veut s’y essayer...).
Alice et Neil s’attablèrent donc l’une en face de l’autre également, la première faisant face à la porte d’entrée et la seconde à celle de la cuisine et des doubles-vécés. Puis le serveur vint prendre leur commande.
Une petite clochette retentit. Trois hommes entrèrent. Des chinois, mais quoi de plus banal, même en Bretagne. Le serveur les regarda et se figea soudain, son petit calepin et son crayon comme suspendu en l’air, immobile. Cela dura quelques secondes, puis il réagit, bafouilla et s’excusa auprès des jeunes femmes avant de s’en aller précipitamment vers la cuisine et disparaître derrière la porte, qui claqua. Alice les dévisagea sans y prêter plus d’attention que ça, puis elle regarda Neil et elles pouffèrent de rire suite à l’attitude très curieuse du serveur. Décidément cette journée s’annonçait belle et guillerette. Il y a avait une sorte de folie-douce dans l’air.
La porte de la cuisine s’ouvrit, une toute petite et vieille dame voûtée en sortit, semblant usée et sans âge, mais à la démarche bien ferme, encore sûre, et à l’œil vif. C’était la patronne, qui faisait aussi office de cuisinière. Elle salua au passage les clients dans un langage incompréhensible, et alla accueillir les trois hommes, toujours debout, silencieux. Ils parlèrent ensemble un moment tous les quatre, puis les hommes s’en allèrent. La patronne retourna en cuisine et le serveur revint finir de prendre la commande d’Alice et Neil, l’air gêné, mal à l’aise. Mais elles n’en firent pas plus cas que ça. Tout se poursuivit ainsi, dans la joie et la bonne humeur.
Enfin, le couple d’amoureux régla sa note puis s’en alla bras dessus, bras dessous, s’embrassant déjà. Elles étaient seules à présent. Mangeant, blablatant, rigolant. Le serveur et la patronne semblaient avoir disparu, mais qu’importe. Il n’y avait plus aucun bruit autre que leurs baguettes se croisant maladroitement, leurs bolées s’entrechoquant, et leurs deux grands éclats de rire.
Une fois encore, la petite clochette suspendue à la porte d’entrée du restaurant retentit. Dliiing-Glinng. C’est alors que les choses allaient prendre un tout autre tour, une autre tournure ou disons, un nouveau tournant...
Modifié il y a 6 ans, le lundi 22 octobre 2018 à 16:13
Pendant ce temps, Maître Robert était réapparu sur le site, le temps de poster un message ou deux. Mais il semblait être passé à autre chose et ne plus s'intéresser ni à Eireen ni à toute cette histoire, car il avait presqu'aussitôt redisparu dans la nature.
Donc, la petite clochette de la porte tinta. Zdiing-Glinng !
Était-ce quelqu'un du site, prit d'une soudaine fringale ou d'une envie de crêpe à la pékinoise ? d'une galette de sarrasin sauce piquante ? d'un nem façon bigoudène ou d'un rouleau de printemps bretonnant ? Même pas. Ces gens-là ne mangeaient pas, ni ne lisaient pas non plus. Et n'étaient semble t-il pas capables de simplement jouer à entrer dans un sujet, ou essayer de créer quoi que ce soit d'original, ensemble. Non.
Alors qu'une seule petite phrase bien tournée, bien sentie, aurait suffit. Tant pis.
Dlouiiing-Zdliing ! Donc, la petite clochette de la porte d'entrée du restaurant tintait toujours...
Alice était plongée la tête dans son assiette en train de se battre à mains nues avec un restant de bœuf sauté aux moules et aux crevettes récalcitrantes. Elle avait abandonné les baguettes et déposer les armes depuis longtemps. D’un geste habile et délicat, elle attrapa une des petites bestioles qui pataugeaient encore dans un fond de sauce et qui cherchait à s’en échapper en grimpant au sec le long d’un bout de haricot vert gluant et collant. Elle la pinça entre deux doigts, la regarda un instant et s’apprêtait déjà à se l’enfourner vivante tout au fond du gosier, sans pitié aucune, lorsqu’elle entendit le petit tintement de cloche. Elle leva les yeux et vit les 3 hommes de tout-à-l’heure entrer les uns après les autres. Le dernier refermait déjà le verrou intérieur derrière eux, tandis que le deuxième tirait les stores et que le premier marchait vers elles, un flingue en poche apparemment. Et voilà, ça y est. Là. Il était là, à leur hauteur, suivi du second puis du troisième. La petite crevette gigotait toujours dans les airs pendant qu’Alice, bouche bée, un léger filet de bave suintant de côté, tentait d’articuler quelques mots à Neil, qui elle, venait de voir la porte de la cuisine s’ouvrir et le jeune chinois de l’aéroport pénétrer dans la pièce, un revolver à la main. Une scène de film. Il y avait une porte de sortie dans la cuisine donnant sur l’arrière-cour, par où la patronne et le serveur était partis un peu plus tôt, et par où le dénommé Fanjo venait d’entrer. Un lourd silence se fit, suivi d’un ploutch et d'un splok. Les deux doigts d’Alice relâchèrent soudain leur pression et le petit crustacé gesticulant dans tous les sens se transforma aussitôt en une drôle de bébête volante qui plongea de tout son long jusque tout au fond du bol de cidre, où elle se noya bientôt, ivre morte. Neil tenta d’articuler un son mais seul un petit morceau de bout de carotte réussi à se propulser hors de sa bouche et vint s'écraser contre le carton plastifié de la carte des menus qui était resté sur la table. Leurs deux échos résonnèrent longtemps. Très longtemps. N'en formant plus qu'un seul, qui allait se répercutant sur les murs, sans fin. Le temps s'était suspendu.
Modifié il y a 6 ans, le lundi 22 octobre 2018 à 21:33
Le premier se mit à gueuler, tout maigre et hyper-nerveux, ne tenant presque pas en place et sautant partout en faisant de grands gestes menaçants :
不要動連接條!
羅伯特先生在哪裡?這位羅伯特大師的私生子在哪裡?
Puis le second enchaîna, sur un ton calme et froid avec un accent, tout en regardant Neil au fond des yeux :
- Matel Lopelteuh ? où é Massieuh Lopelteuh ?
Tou va pal’lé...
Le troisième ne disait rien, un petit gros avec un ventre tellement énorme qu’on aurait dit qu’il allait s’ouvrir et éclater d’un instant à l’autre comme un pochon d’eau prêt à craquer.
- Du calme, les gars ! intervint le dénommé Fanjo, visiblement le chef de la bande.
Que se passait-il ? Quoi ! Alice et Neil étaient tétanisées, pétrifiées, suant et coulant de partout sur leur chaise. Leurs regards affolés passaient de l’un à l’autre puis se croisaient entre elles deux, et repartaient en tous sens, comme des bêtes traquées, sans moyen d’échapper nulle part. Les lèvres sèches, la langue collée et lourde, elles ne savaient comment se sortir de là ni que faire. Alice était toute pâle, au bord du vide. Seule Neil avait compris.
- Allons, mesdames, dîtes-moi où se trouve ce mystérieux @mr.robert, et mes hommes ne vous feront aucun mal. Vous avez ma parole ! Sinon...
Le troisième se mit à rire doucement, suivi des deux autres qui ne semblaient pas parler le français, ou qu’à peine, mais rirent pourtant de bon cœur car ayant tout de même peut-être bien compris le sens de ce qu’avait dit leur chef, rien qu' à voir la peur qui dégoulinait du visage des jeunes femmes. Le ventre du petit gros tressaillait et tremblotait en hocquetant sur lui-même, on aurait cru que quelquechose allait en sortir à tout moment.
你的嘴巴!Leur ordonna brusquement Fanjo, ce qui voulait dire : Vos gueules ! Ils se turent d’un seul homme. On entendit une ou deux mouches voler au-dessus d’eux, tournoyer puis planer un instant, allant et revenant en direction de la cuisine ou des WC.
Le chef désigna soudain Neil du doigt et lui fit signe de se lever et de la suivre. D’un geste, il fit comprendre aux deux autres de surveiller Alice, et dit au premier, le grand nerveux, de venir avec lui.
Neil se leva et le suivit vers la cuisine où il l’attendait déjà, tenant la porte. L’autre s'agitait derrière. Sans doute allaient-ils la faire parler, la questionner ou pire, la torturer pour qu’elle lui donne des renseignements sur Monsieur R. Toujours la même histoire. Est-ce que cela finirait un jour ? se disait-elle. Mais pourquoi n’ai-je encore rien dit à Alice, la pauvre, dans quel merdier l’ai-je mise... Quelle conne je suis !
En passant, elle remarqua un détail curieux, une chose qu’elle n’avait pas vu jusqu’à lors, une table semblait occupée, juste là, près des toilettes. Il y avait une paire de lunettes posée sur un journal plié en deux, ainsi que des baguettes plantée dedans une assiette de nouilles aux légumes, sans doute froides maintenant, puis un verre d’eau à demi plein juste à côté d’une carafe, plus deux ou trois tâches de sauce sur la nappe, de çi, de là, et également une veste disposée sur le dossier de la chaise. Visiblement, quelqu’un était assis là il y a peu. Mais qui ? La patronne, non. Le serveur, peut-être. Non, non plus.
Il y eut soudain un bruit de chasse d’eau. L’instant d’après la porte des WC s’entrouvrit et aussitôt une odeur épouvantable se répandit dans les airs, immonde, insoutenable, comme une sorte de vapeur se transformant tout -à- coup en une brume épaisse, irrespirable et nauséabonde, un brouillard dense qui envahit tout l’espace instantanément, remplissant chaque recoin du restaurant, se répandant partout à la vitesse d'un vent du tonnerre de dieu, et s’en allant du sol jusqu’au plafond, un gaz à faire tomber les mouches les unes après les autres, quelquechose venu d'ailleurs, d’irréel, de non humain, atterri d’une autre planète ou tombé d’une autre galaxie, d’une nouvelle dimension voire d’un autre univers parallèle. Tout le monde se mit à tousser dans la seconde, à chercher un échappatoire ou la sortie, une issue quelconque, mais on n’y voyait plus goutte. On criait et beuglait tout en crachant tripes, boyaux et poumons, le cœur à demi retourné, soulevé, ça se bousculait en tous sens à l’intérieur, renversant chaises, tables, couverts, dans un bruit de tremblement de terre ou de fin du monde, d’apocalypse nucléaire. Enfin, quelqu’un réussit à ouvrir la porte d’entrée à la volée et tout l’air du dehors s’engouffra comme aspiré vers le dedans, tandis que chacun sortait en courant de la petite crêperie en même temps que son atmosphère s’échappait dans la rue, d’une couleur verdâtre et bleu tirant sur les marrons et ressemblant à un dégazage en mer, sauvage, ou une sorte de marée noire semblant devoir envahir la ville entière, un mazoutage à grande échelle, mondial et planétaire.
Peu à peu, cependant, tout se dissipa et se calma. La lumière du jour perça lentement au travers de cette purée sans nom et on recommença à y voir un peu clair. Ainsi qu’à respirer.
Quelques oiseaux gisaient au sol, sur le trottoir, et quelques passants suffoquaient encore, se retenant de ne pas dégobiller. Tous les chinois avaient disparu. Les deux amies se remettaient doucement, dans les bras l’une de l’autre et se tapotant le dos dans des grands : Proouahah ! Beuurk ! etc. Soudain, une ombre se dessina dans l’encadrure de la porte du petit restaurant. Une masse sombre et difforme. Tous les regards se tournèrent et chacun se tut, comme redoutant l'apparition de quelque monstre de SF arrivé de l'espace. Quelques derniers petits nuages malodorants et légers qui traînaient encore partout autour se dissipèrent, s’effilochant, et l’on distingua nettement quelqu’un dont la silhouette était familière. La forme s’avança d’un pas, puis d'un autre. Oui. C’était bien lui, en personne. Incroyable ! Maître Robert himself, qui finissait de reboutonner son pantalon. Il souri à la ronde et agita les deux mains, tel un pape, en guise de salut à la foule. Il avait toujours eu du mal à digérer les nouilles, surtout chinoises.
Modifié il y a 6 ans, le mardi 23 octobre 2018 à 00:31