" Être de gauche : les désillusions d’un homme du peuple "
Publié le 5 mars 2022
" Aujourd’hui considéré comme un lieu commun, l’abandon des classes populaires par une grande partie de la gauche est le résultat de décennies de trahisons politiques, comme en témoigne notre lecteur.
J’ai vécu dans ces milieux ouvriers par ma famille et par d'autres personnes ; j’ai travaillé dans l’usine de textile (où mon père travaillait) dès 15 ans l’été, car c’est normal dans cette culture prolétarienne qui est la mienne, d’user de ces mains et de son corps très jeune, d’être un homme à 11 ans, de bêcher, de brasser le béton, de soulever des sacs de ciment, de manier la pioche, de couper le bois, de ramasser les patates avec le paysan du village…
Mais j’étais un bon élève et j’aimais étudier, écrire des rédactions, dessiner (premier texte publié avec un dessin de l’église de mon village dans la revue de l’instituteur). Ce monde des livres existait en parallèle de mon milieu ouvrier et sans l’école, je serai devenu un manuel, c’est certain. Et si Zemmour avait été au pouvoir, il m’aurait destiné à mon milieu d’origine. Très jeune, je me nourrissais de ce savoir scolaire et un crayon à la main, je pouvais écrire, dessiner sur ces pages d’un vieux cahier abandonné. Me serais-je un jour imaginé écrire des livres (à compte d’auteur, les éditeurs parisiens trop loin), composer des poèmes ou des haïkus avec facilité, peindre des tableaux par centaine, ou faire des expos dans les villages avec naturel et passion ? C'était inimaginable !
Mon père et mon grand-père syndicalistes m’ont donné malgré eux cette foi dans la lutte des classes. Et je percevais dans le bourgeois, déjà dans la classe de l’école ou lycée, une manière malsaine et artificielle de vivre : leurs loisirs de sports d’hiver ou de bateau en mer faisaient gronder en moi la révolte. Et que dire quand je découvrais que mon grand-père andalou avait été aux côtés des républicains en Espagne, et donc que le sang de ce peuple opprimé ou massacré coulait en moi ! Au lycée, ce fut le combat contre la droite, le RPR et moi, je prenais ma carte au PS et m’abonnais à L’Unité. C’était étrange, ces lycéens embourgeoisés, je les sentais comme différents de moi, trop à penser aux filles, aux vacances, aux plaisirs matériels, et mon esprit révolté s’engageait contre ces types qui avaient la vie trop facile. Les années Giscard, je me les représentais comme une escroquerie, et le pire, comme me disait mon père, comment des ouvriers pouvaient voter pour un type de droite !
10 mai 1981, mon père déboucha le champagne, la gauche revenait enfin au pouvoir ! Les idéaux prolétaires au pouvoir, enfin, la reconnaissance de ma classe exploitée, écrasée, méprisée, un souffle nouveau… Et puis, la trahison : 1983, le tournant de la rigueur… l’usine de mon père ferme, et le voilà au chômage avec des centaines d’autres, leurs vies sociales brisées et ailleurs comme des dominos les usines tombaient… Des centaines d’existences parties à vau-l’eau dans le désespoir et les excès. Des morts prématurés, car la souffrance fut inhumaine, le vide et les usines détruites comme leurs vies…
Mais j’ai cru encore, le PS avec Hollande — « mon ennemi c’est la finance » — et puis à nouveau, le mensonge… Stop… Cette gauche socialiste n’était qu’un repère d’ambitieux obsédés par le pouvoir et les places confortables en affirmant une bonne fois pour toutes, son rejet de la classe ouvrière. Je m’étais fait rouler depuis Mitterrand et tous mes ancêtres avec moi, Mitterrand n’a jamais été de gauche, il méprisait ma classe, ce que j’étais, un fils de prolétaire, lui, le bourgeois de droite extrême, l’ennemi juré de mon sang paternel. J’avais compris, nous ne sommes que dans un système politique qui se gave de profit et de prébendes, étroitement lié au monde de la finance.
Et puis surgit alors le mouvement des Gilets jaunes. J’y crois : enfin le réveil du peuple et sa voix sacrée contre ce jeune blanc-bec méprisant et insultant. Je les soutiens sur les ronds-points. Combattants pour le mieux vivre, plus de démocratie, le RIC peint en grosses lettres sur des fourgonnettes, vive la liberté du peuple ! Naïvement, je croyais qu’à Paris, les journalistes, les politiciens seraient fiers de ce peuple de France, mais non, ils l’ont insulté, ont prétendu que ce n’était pas le peuple, uniquement de la racaille raciste !
Comment, je ne comprends pas, ce mouvement révolutionnaire, chair de notre histoire, réprimé avec violence et mépris ! À nouveau la Commune ! Et j’ai compris que ces technocrates, ces politiciens, ces journalistes qui s’expriment sur les plateaux télé n’ont que faire des gens. Je prends conscience de leur novlangue orwellienne, nous ne sommes que du stock comme le dit Macron et il faut organiser du flux, du contrôle, de la désinformation, la mondialisation, la dilution de la réalité des émotions de nos campagnes, monde de nos ancêtres sacrifiés… "
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