|
Si vous lisez la préface du livre d' Emmanuel Kant « La critique de la raison pure », il y répond précisément à cette question sur le mot « humainement ». Il écrit :
« Quand Galilée fît rouler ses boules jusqu'au bas d'un plan incliné, il se produisit une illumination pour tous les physiciens, ils comprirent que la raison ne voit que ce qu'elle produit elle-même selon son projet, qu'elle devrait prendre les devants selon les principes qui régissent leurs jugements et FORCER LA NATURE à répondre à ses questions et non pas se laisser conduire en laisse par elle ».
C'est une phrase incroyable !
En gros ça veut dire que ce n'est pas à la nature de venir nous casser les trucs, c'est l'Homme qui a la raison, et il va obliger la nature à parler le langage de la raison de l'Homme.
Y z'y allaient pas le dos de la cuillère nos aïeux comme on dit. Et c'est pas fini, le langage franc, direct, que des uppercuts.
|
|
Et il continue « La raison doit se faire respecter, elle doit s'adresser à la nature en tenant d'une main ses principes, et de l'autre les expérimentations qu'elle a conçu selon ces principes. Certes ! Pour recevoir les enseignements de cette nature (Ah ! Quand même…) mais pas à la façon d'un écolier qui se laisse dire ce que veut le maître. La raison doit se comporter comme un juge qui force les témoins à répondre aux questions qu'il leur soumet ».
Donc, là, une expérience, pour Kant c'est une torture. C'est un moyen que la raison utilise pour faire parler la nature dans un langage qui est celui de la raison et non pas celui de la nature.
Il continue : « La raison mathématique devient un tribunal devant lequel elle convoque la nature pour répondre aux questions qu'elle lui pose ».
Donc, pour Kant, c'est l'Homme qui possède le langage et c'est à la nature de l'apprendre !!!!!
Lisez Kant, il vaut le détour…
|
|
Le 2ème que je vais citer, c'est Usserl (Edmund), d'origine autrichienne.
Il a écrit un livre quand le nazisme a pris le pouvoir, dans une sorte d'état de panique, il fait des conférences à Vienne, à Prague, etc. Et grâce à tous les échanges qu'il avait avec les gens de ce milieu scientifique, il comprend que l'idée européenne est en crise, et plutôt que d'attaquer les nazis, il attaque le problème à la racine dans un livre qui s'appelle « La crise de l'humanité européenne ».
|
|
Usserl qui respecte Tout à fait les connaissances que les physiciens ont apprises depuis Galilée, pense que Galilée est responsable de quelque chose.
Et de quoi donc ? Il dit que « Depuis Galilée l'humanité (européenne) connaît une crise car elle devient toujours étrangère à sa propre essence. Elle abandonne progressivement la pensée interrogative ».
A qui la faute ? « A Galilée, car la révolution galiléenne ne se ramène pas à la victoire de la science sur l'ignorance, l'illusion, ou le préjugé ; la révolution galiléenne accomplit surtout la substitution par laquelle le monde mathématique, c'est-àire le monde des idéalités, est pris pour le seul monde réel. Le geste de Galilée est à la fois découvrant et recouvrant. Il est découvrant parce qu'il fraye la voie aux découvertes infinies en physique, mais il est également recouvrant parce qu'il recouvre le monde tel que nous l'éprouvons d'une mathématisation qui l'éloigne de nous et nous le rend étranger».
Donc, les maths nous rapprochent de la nature puisqu'elles nous permettent de la comprendre et en même temps, ce monde étant mathématisé nous devient étranger, car incompréhensible.
|
|
Et là, je me permets de vous rappeler ce qu'à dit Alexandre Koyré, qui a écrit un livre qui s'intitule « Études galiléennes », à savoir que « le pari de la physique moderne, depuis Galilée, est d'expliquer le réel empirique par l'impossible ». Remember ?
C'est-àire le réel dans lequel nous avons la sensation de vivre, celui qu'on observe, qu'on peut connaître par nos sens, qu'on peut l'expliquer par l'impossible !
Caisses à dires ???
Ce que Koyré voulait dire par-là, c'est que toutes les lois physiques peuvent s'énoncer selon des formes ou des phrases absurdes. C'est-àire que toutes les lois physiques disent exactement le contraire de ce qu'on observe.
|
|
J'en profite pour revenir sur le mouvement inertiel.
Tous les corps en mouvement que vous voyez s'amortissent. Et on vous balance le principe d'inertie qui vous dit que si un objet n'est soumis à aucune force aura un mouvement continu indéfiniment, donc sans s'amortir. Ce qui ne s'est jamais vu. Personne n'a jamais vu un mouvement inertiel.
Et donc, en fait, pour comprendre les amortissements d'un corps, il faut inventer l'idéal d'un mouvement inertiel qui n'existe pas !!!
Et vous savez sans doute que c'est en s'interrogeant et qu'il a réfléchi à tout ça, sur comment se fait-il qu'on ne puisse pas observer de mouvement inertiel, qu'Einstein s'est demandé comment se fait-il que sur ce quoi s'appuie les lois de la mécanique, le principe d'inertie, corresponde à une situation qui ne peut pas exister dans l'Univers puisqu'il y a de la gravitation partout, donc que tous les objets subissent une force, donc le principe d'inertie tel qu'il est défini dans la mécanique est une idéalité ; et c'est sur ce type de questionnement et de raisonnement que Einstein a construit sa théorie de la relativité générale (sur laquelle nous reviendrons encore...).
|
|
Ainsi, la physique a tendance depuis Galilée à remplacer ce qu'on voit par des lois dont l'énoncé contredit l'observation.
Jusqu'à l'absurde parfois, et on verra que c'est encore pire avec la physique quantique ou des théories de la relativité, qui elles, nous entraîneront vers des lieux totalement inimaginables.
Revenons à Usserl . Ce qu'il dit, c'est qu'on a érigé la mathématisation du monde en règles absolues de la science et on a remplacé l'objectivité par ce qu'il appelle « un objectivisme ».
Et du coup, la raison, notre raison, celle qu'évoque Kant, est une raison qui ne répond plus à la question qui commence par « Qu'est-ce que…. ? mais par une question qui commence par « Comment » ?
On ne dit plus « pourquoi ?» mais « comment ?»
Et du coup, « la pensée méditante » comme disait Heidegger, et qui faisait la spécificité européenne, a été remplacée par "une pensée calculante », et c'est parce qu'elle a renoncé à cette pensée méditante que l'Europe a finalement accepté, localement, le nazisme.
|
|
Ce sont des questions qui vont très loin, hein !?
On ne pense pas à toutes ces implications nous autres commun des mortels, il faut lire les philosophes, ils peuvent vous apprendre des choses et vous surprendre, car ces lectures pourraient changer quelque chose dans votre vie, et la rendre plus passionnante.
Rappelez-vous si vous avez été lycéen, vous écriviez des équations sans savoir vraiment ni d'où ça vient et à quoi elles correspondaient, et vous n'étiez même pas surpris par l'espèce de miracle qu'on devrait normalement éprouver quand on voit qu'un calcul d'un circuit LRC par exemple, (et DD devrait savoir de quoi je parle), donne un certain résultat pour une intensité ou une tension, et quand on fait une mesure, on trouve la même chose !
Comment se fait-il qu'il y ait comme ça une bijection qui relie les résultats calculés et les résultats mesurés ?
|
|
Et c'est finalement ça la question posée, que je n'ai pas encore abordée, « comment se fait-il que les mathématiques marchent en physique ? »
A l'époque d'Aristote, Pythagore, etc... Il n'y avait pas de mathématiques mais il y avait une physique.
Comment se fait-il qu'en physique moderne il faille faire des mathématiques pour qu'on obtienne des résultats que confirment les expériences ?
|
|
Cette question, je vais en donner trois formulations car au cours de l'histoire elle a pris des formes différentes.
La 1ère piste et le 1er qui s'est intéressé à ça, avant même que Galilée ne formule la chose, c'est Johannes Kepler.
C'est cet astronome célèbre, qui le premier a étudié l’hypothèse héliocentrique de Nicolas Copernic, affirmant que la Terre tourne autour du Soleil et surtout pour avoir découvert que les planètes ne tournent pas autour du Soleil en suivant des trajectoires circulaires parfaites mais des trajectoires elliptiques.
« Il a découvert les relations mathématiques (dites Lois de Kepler) qui régissent les mouvements des planètes sur leur orbite. Ces relations furent ensuite exploitées par Isaac Newton pour élaborer la théorie de la gravitation universelle ».
|
|
Kepler qui écrit ceci : « Que peut saisir l'esprit humain à part les nombres et les grandeurs ? »
Et en fait, il explique que le physicien va découper dans le réel ce qu'il pourra ensuite saisir par des lois mathématiques.
Et quand on lit sous sa plume que « La science ne vise jamais qu'à élaborer un modèle propre à éclairer l'intelligibilité du réel, et ce modèle n'est jamais qu'un modèle réduit », à ce titre, on pourrait presque dire que Kepler est une sorte de pionnier du réductionnisme, re-mdrrrrrr.
Et en fait, cette idée de Kepler, c'est Richard Feynman (prix Nobel de physique en 1965) qui va la reprendre à son compte au 20ème siècle, pour dire que « nous faisons de la physique mathématique faute de pouvoir faire mieux ».
Hé ! Bé ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte mais ça chauffe toujours entre les physiciens, ils ne se reposent jamais. Et là, je ne vous raconte presque rien, prenez-le pour dit.
|
|
Parce qu'on pourrait penser que la physique mathématique c'est le summum de la connaissance, mais ce que dit Feynman, c'est non, c'est parce qu'on ne sait pas faire mieux tout simplement.
On est mutilé, et la physique mathématique correspond à la meilleure chose perfectionnée que nous puissions faire.
« La physique est mathématique, dit-il, non pas parce que nous en savons sur le monde physique mais au contraire parce que nous en savons fort peu. Seuls les propriétés mathématiques du monde nous sont accessibles, et la puissance de la physique vient précisément de ce qu'elle a su limiter ses ambitions aux seules questions qui sont mathématisables ».
Ça, c'est une phrase extraordinaire « ... la puissance de la physique vient précisément de ce qu'elle a su limiter ses ambitions aux seules questions qui sont mathématisables » !
Limiter ses ambitions...Pour ne pas se perdre...A méditer...
|
|
Richard Phillips Feynman (1918-1988) est un physicien américain, l'un des plus influents de la seconde moitié du xxe siècle, en raison notamment de ses travaux sur l'électrodynamique quantique, les quarks et l'hélium superfluide.
Il reformula entièrement la mécanique quantique à l'aide de son intégrale de chemin qui généralise le principe de moindre action de la mécanique classique et inventa les diagrammes qui portent son nom et qui sont désormais largement utilisés en théorie quantique des champs (dont l'électrodynamique quantique fait partie).
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fut impliqué dans le développement de la bombe atomique américaine. Après la Seconde Guerre mondiale, il enseigna à l'université Cornell puis au Caltech où il effectua des travaux fondamentaux notamment dans la théorie de la superfluidité et des quarks.
Sin-Itiro Tomonaga, Julian Schwinger et lui sont colauréats du prix Nobel de physique de 1965 pour leurs travaux en électrodynamique quantique. Vers la fin de sa vie, son action au sein de la commission d'enquête sur l'accident de la navette spatiale Challenger l'a fait connaître du grand public américain.
Pédagogue remarquable, il est le rédacteur de nombreux ouvrages de vulgarisation reconnus. Parmi ces livres, les Feynman lectures on physics, un cours de physique de niveau universitaire qui, depuis sa parution, est devenu un classique pour tous les étudiants de premier cycle en physique et leurs professeurs.
Il raconte aussi ses nombreuses aventures dans plusieurs ouvrages : Surely You're Joking, Mr. Feynman! (paru en français sous le titre "Vous voulez rire, monsieur Feynman !") et What Do You Care What Other People Think? (paru en français sous le titre "Vous y comprenez quelque chose, Monsieur Feynman ?").
Ce tome est lié au soutien moral que sa première épouse Arlene lui donnait, l'encourageant par ce biais dans sa poursuite intellectuelle en tant que libre-penseur. Source Wikipédia
Ah ! Le rôle des femmes dans la carrière de leur mari, on n'en parle pas assez souvent, voilà qui est fait.
(Pour les amateurs, je signale que c'est un article passionnant, on doit pouvoir le trouver sur le net).
|
|
Autrement dit, la physique est devenue efficace avec Galilée.
Galilée dit « Le temps, je ne sais pas ce que c'est, et on ne saura jamais ce que c'est, et donc discourir de la nature du temps, c'est perdre son temps.La seule chose qu'on puisse faire, c'est par quels paramètres mathématiques on peut le décrire afin de l'insérer dans les lois physiques ».
De la même façon, « Le réel empirique se donne à nous par toutes sortes « d'accidents », (ce que nous appelons nous des « propriétés »), couleurs, odeurs, formes, etc...qui sont changeantes et qui du coup sont impossibles à saisir, le réel c'est trop divers, trop changeant, trop instable, il est impossible de le capturer dans des concepts.
La seule chose qu'on puisse faire, c'est saisir l'essence des choses...L'essence des choses, pas les propriétés des choses ni les choses elles-mêmes...et ça, on ne peut le faire que grâce à la mathématisation ».
Ça, c'est la 1ère piste, on fait des maths en physique parce qu'on ne peut pas faire autre chose, quoi !
|
|
La 2ème piste, c'est celle que suit Einstein.
Einstein est beaucoup revenu sur cette question, et la façon la plus précise d'énoncer la question qu'on peut trouver chez lui est celle-ci :
« Comment est-il possible que les mathématiques qui sont un produit de la pensée humaine et sont indépendantes de toutes expériences puissent s'adapter d'une si admirable manière aux objets de la réalité ».
Là, on voit qu'Einstein a choisi son camp : « ...les mathématiques sont un produit de la pensée humaine et sont indépendantes de toutes expériences... »
En sujet de BAC, ça donnerait « Ce qui est incompréhensible c'est que le monde soit compréhensible, argumentez ! ». Aucun lycéen n'y a échappé, au moins en guise d'entraînement.
Et Einstein continue « La raison humaine (il invoque la raison comme Kant) serait-elle capable sans avoir recours à l'expérience de découvrir par la pensée seule les propriétés des objets réels ? »
Là, sachant ce qu'il vient de dire, Einstein se pose la question mais en fait pour lui, il n'y a même besoin de faire d'expérience.
|