Dans un tourbillon judiciaire inédit, 25 personnes comparaissaient de nouveau hier devant le tribunal correctionnel pour répondre de délits commis au cours des émeutes qui ont secoué Marseille. Futur ingénieur, délinquant récidiviste, jeune fille inconsciente... Témoignages et confessions.
"Au début, je voulais pas voler"
"J'ai vu ce qui se passait sur les réseaux, je voulais aller voir", explique Sihem, 18 ans. Accompagnée d'un ami, ce 30 juin au soir, la lycéenne "va voir" rue Saint-Ferréol. Elle entre dans la boutique Sephora dont les vitrines ont été éventrées, se sert sur les étals et repart avec une trentaine de masques de beauté et des cosmétiques. "Je suis sortie et j'ai été interpellée, raconte celle que son avocate appelle "cette petite". "Au début, je voulais pas voler mais j'ai été tentée, je me suis laissée emporter par le groupe. J'ai besoin de rien, j'ai tout ce qu'il me faut... j'ai été débile", tente-t-elle de justifier, son visage enfantin enveloppé de longs cheveux noirs, ramenés sur le côté en une tresse.
Distante dans ses réponses, Sihem finit par craquer quand son conseil raconte le traumatisme de la garde à vue, puis de la détention provisoire, pour celle qui attend les résultats des épreuves du bac en gestion administrative. Elle dit espérer trouver une formation d'assistante en ressources humaines et prévoit de travailler tout l'été avec sa mère, dans une association d'aides à domicile. "Ça m'a servi de leçon. La prison, ça m'a traumatisée... j'étais la seule fille." Sur les huit mois ferme requis par le parquet, les juges en ont retenu six, aménagés sous forme de bracelet électronique. "Je retourne en prison ?", souffle Sihem avant de quitter le box, soulagée, un timide sourire au coin des lèvres.
Quelques minutes plus tôt, un étudiant en Master à Aix avait été condamné à six mois pour "recel" après avoir ramassé de la marchandise abandonnée par des pilleurs."Comment un futur ingénieur peut se retrouver dans cette situation ?", l'avait questionné la présidente, intriguée. "J'habite à côté. Je passais dans la rue et j'ai trouvé des habits par terre. Je me suis servi", avait simplement répondu le jeune homme, mal à l'aise.
Alertés par des habitants paniqués d'une attaque sous leurs fenêtres de la boutique de vêtement C.P Company, dans le quartier chic du Prado (8e), les policiers n'ont pas été déçus en contrôlant le véhicule de Jémil, garé à proximité. Dans l'habitacle occupé par cet habitant des Vieux-Cyprès (13e) et ses quatre passagers, les fonctionnaires sont tombés sur l'attirail des parfaits pilleurs : six mortiers d'artifice, des gants, une cagoule, un brise-vitre, un couteau, des marteaux...
Propriétaire de la voiture, Jémil a été rendu responsable de la totalité des saisies et se retrouve, ce mardi, renvoyé en solitaire pour "port d'arme" et "port" d'artifice". "Les marteaux et les brise-vitres, ça venait de ma caisse à outils. Je suis électricien", s'explique mollement le longiligne jeune homme de 19 ans, cheveux attachés en arrière et tee-shirt blanc à virgule.
Fils d'un électricien, Jémil est effectivement en alternance depuis deux ans. À la barre, il n'assume que les deux feux d'artifice. "C'était pour l'anniversaire de ma mère", jure-t-il. "Et la cagoule et les gants, c'est pour l'électricité ?", ironise le président Vincent Clergerie. "C'était à des collègues, pas à moi", râle le prévenu. Dans le huis-clos d'une garde à vue, il avait donné une toute autre version : les accessoires de dissimulation appartenaient à un passager qui voulait "manifester". Mais devant le tribunal, il n'est plus question que "d'aller à la mer entre collègues pour fumer". "Il faisait froid. Il faut bien sûr une cagoule pour aller à la plage", moque le président. Certes, ni lui ni ses collègues n'ont eu le temps de passer à l'action. "Mais nous ne sommes pas crédule, assène le parquet. Il avait prévu de participer activement aux émeutes et pillages. Vu la situation exceptionnelle, je demande huit mois de prison dont trois avec sursis." Échaudé par les peines de prison et les mandats de dépôt "prononcés indistinctement et systématiquement" la veille, Me Poitevin, en défense, en appelle solennellement à "l'indépendance des magistrats". "Je ne sais pas ce qui a motivé ces jeunes, Snapchat, la politique, l'appât du gain... J'ai cinq clients, ils sont tous différents. Mais on ne peut pas incarcérer des personnes insérées. Ce serait du gâchis !", proteste-t-il.
"En l'absence d'audition des autres passagers", Jémil est finalement relaxé pour une partie des faits. Il écope toutefois de six mois ferme pour les feux d'artifice, une peine qu'il effectuera à domicile sous bracelet. Une sanction doublée d'un sermon : "Le tribunal porte peu de crédit à ce que vous avez dit. On ne vous donne cette possibilité que pour aller travailler, sinon vous alliez en prison."
"Vous pensez qu'un policier peut vous écraser ?"
Silhouette longiligne flottant dans un tee-shirt noir, Mohammed s'avance dans le box. Du haut de ses 18 ans, il jette un oeil hagard sur le tribunal auquel il est confronté, pour la première fois. Interpellé dans la soirée du 30 juin, il comparaît pour des violences envers trois policiers. Intervenus dans le 2e arrondissement en soutien aux pompiers qui tentaient d'éteindre un bus en feu, les fonctionnaires sont contraints de quitter les lieux, reculant devant une foule hostile et agressive.
Un jeune homme à scooter les prend alors en chasse, lance sur le véhicule de police des pieds de chaise métallique à deux reprises, avant d'être à son tour poursuivi par les forces de l'ordre. Pris au piège dans une impasse, Mohammed tente alors d'escalader un grillage, monte sur la voiture de police, assène un coup de pied au visage de l'un des fonctionnaires. "Je devais rentrer chez moi, je ne sais pas ce qui m'est passépar la tête, justifie le prévenu, une moustache naissante au bord des lèvres. D'habitude, je ne fais pas ça, je me suis laissé entraîner par l'effet de groupe, puis j'ai eu peur."
Car si Mohammed reconnaît les jets de projectiles, il conteste en revanche les violences volontaires. "Vous dites avoir eu peur, relève un assesseur. Mais qui sont les délinquants ? Vous pensez vraiment qu'un policier peut vous écraser ?" Face au juge, le jeune homme baisse la tête, assure regretter un geste involontaire. Apprenti carrossier au casier vierge, son profil "détonne" avec les faits qui lui sont reprochés. Le ministère public requiert néanmoins 18 mois de prison dont 10 de sursis. Une peine "exemplaire, sévère", que la décision du tribunal allège un peu en prononçant un an de prison dont six mois de sursis, avec maintien en détention. Mohammed quitte le box menottes aux poignets, devant ses parents qui l'implorent de les regarder lui envoyer un dernier baiser.
Corps raide et voix tremblante, Lounis se décompose à la barre. Comme beaucoup de prévenus depuis deux jours, l'homme de 25 ans se décrit comme un "portuniste" embarqué, presque contre son gré, dans les saccages nocturnes des commerces du centre.
Une chance pour lui et pour pas mal d'autres prévenus : les images de caméras ont permis de faire le tri entre les casseurs de vitrines et ceux qui se sont contentés d'en profiter. "Les premiers sont organisés. Les policiers ont ramassé les moins malins", glisse un avocat. Dans la deuxième catégorie, ce désamianteur de 25 ans, en recherche d'emploi, était descendu de son 14e arrondissement vers le centre-ville "pour boire un coup avec des amis. Puis on a vu un attroupement. Ja savais qu'il y avait une manifestation pour le jeune Nahel et puis j'ai été pris par la foule", assure-il, penaud.
Rue Paradis, il croit à l'aubaine : quatre sacs à main Lancel sur son chemin."Je voulais faire cadeau d'un à ma mère, à ma soeur et à ma petite copine", se justifie ce fils d'une aide-soignante, au casier vierge.
"Dans ce genre d'événement, être un opportuniste ou un casseur ça ne change rien", cadre sèchement le parquet, en réclamant six mois ferme. "Il a trouvé des objets au sol. Beaucoup de gens auraient fait pareil. La justice ne doit pas faire voeu d'exemplarité mais de proportionnalité", hausse le ton la défense. Lounis récolte six mois ferme. Sous bracelet électronique.
"On voulait se faire une Mercedes"
Dans la nuit du 3 juillet, après trois jours d'émeute, Malik a vu sur Snapchat qu'un groupe était en train de dévaliser le concessionnaire Mercedes de Pont-de-Vivaux. "J'ai pris un casque et des gants, parce que je vois à la télé que tout le monde fait ça dans les rassemblements, puis j'y suis allé", confie le solide gaillard de 25 ans.
Dans le même temps, Rayan, 19 ans, avait été prévenu par un pote qu'un groupe avait prévu de "se faire Mercedes". Le premier a été intercepté par la police alors qu'il tentait de se cacher dans un parc en sortant du concessionnaire. Le deuxième s'est fait prendre à l'intérieur, au volant d'une voiture dont le moteur tournait, prête à démarrer."Vers 3 h 55, quand les policiers ont été requis, une dizaine d'individus mettaient à sac le concessionnaire. Ils étaient organisés comme un réseau de trafiquants de stupéfiants avec des guetteurs devant qui ont crié 'araah' pour avertir de l'arrivée de la police", rembobine le tribunal. "Le commerce de voiture a été totalement nettoyé. Il ne restait plus rien après le passage des pillards, même les paillassons ont été emportés", ajoute le président.
Pour s'échapper, le conducteur d'une voiture volé a même foncé sur le portail... "J'ai été bête. Je me suis laissé engrainer par le groupe", fait profil bas Rayan, ancien brancardier qui passe ses diplômes dans le transport. "Je n'ai même pas le permis et je ne sais même pas conduire", gémit Malik.
"Vous faisiez le parallèle avec le trafic de stupéfiants. Je ferais le même en disant que ce sont les guetteurs qui se font attraper et non pas les gérants haut placés", intervient son avocate, Me Sophie Ibrahim. Les deux écopent de 10 mois de prison ferme avec possibilité d'aménagement.
"Rien à me reprocher"
À 4 h 30 ce samedi, ce n'est pas la police qui est tombée sur Fayssal. Mais Fayssal qui est tombé sur la police. Dans une rue Saint-Ferréol dévastée, cet homme de 23 ans titubait, sous l'effet de l'alcool. Quand les fonctionnaires lui ont demandé de faire marche arrière, il a explosé. "J'ai pas aimé comme ils me l'ont dit. Je n'avais rien à me reprocher. Je n'avais pas raison de faire demi-tour", peste-il.
Peut-être, tout de même, ce casque neuf encore étiqueté. Ou encore, ces claquettes Foot Locker dans leur emballage. "Le casque c'est un collègue qui me l'a passé, je ne savais pas qu'il était volé",maintient Fayssal, déjà connu pour des affaires de stupéfiants et un port d'arme.
Dans un état second lors de son arrestation, il a frappé le museau d'un chien policier et un des agents à reçu un violent coup de pied. Bilan : une fracture de la malléole et 45 jours d'TT. "Je leur avais dit que j'ai peur des chiens. Ils l'ont lâché en premier", assure le prévenu, contre l'évidence des images de vidéurveillance. "En garde à vue, vous avez dit que vous aviez la haine. C'est vrai ? "
L'intérimaire acquiesce. Puis il râle :"Vous croyez plus les policiers que nous." En partie civile, Me Mulateri dénonce des "prétextes pour venir délibérément s'en prendre aux forces de l'ordre, le dernier rempart contre le chaos".16 mois de prison ferme et incarcération.
Les premiers passent au tribunal pour les émeutes, vandalismes, et vols à Marseille !
Les coupables :
Une femme : Sihem 18 ans
Le reste : Jémil 19 ans récidiviste
Mohammed 18 ans
Lounis 25 ans
Malik 25 ans
Rayan 25 ans
Fayssal 23 ans
Etc, etc..........
Que des mineurs effectivement et des peines qu'on qualifiait de légères.
Tristesse de voir tous ces opportunistes qui pourrissent la vie des vrais Marseillais.